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ENTREPRISE
 
14/06/2006

Aborder le marketing par tous les sens
Le marketing sensoriel : manipulation ou différenciation ?

Ses détracteurs crient à la manipulation, ses défenseurs expliquent son intérêt pour le consommateur. Une chose est sûre : l'éthique du marketing sensoriel fait l'objet de vives discussions. Eclairage.
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Renault

En scénarisant un produit ou un point de vente, le marketing sensoriel met en avant d'autres éléments que les caractéristiques intrinsèques du produit. Quitte, parfois, à flirter avec la publicité mensongère. Régulièrement accusée de manipuler les consommateurs, cette pratique peut aussi se concevoir comme une nouvelle variable de différenciation. Le point de vue de deux experts face aux questions de controverse.

Le marketing sensoriel ment-il ?
Jean-François Lemoine, responsable du Master "Etudes de marché et prise de décision marketing" à l'Université de Nantes, considère que la présentation d'un produit peut légitimement faire partie du choix du consommateur : "Le goût d'un yaourt est étudié par les marketeurs. Ils décident aussi du packaging, c'est-à-dire l'aspect tactile du produit, de façon à bien le positionner. Tout cela, c'est du marketing sensoriel. La qualité est le résultat de la perception par le consommateur de l'ensemble de ces variables."


Le marketing sensoriel manipule-t-il ?
La question de la manipulation se pose particulièrement dans le cas de l'odorat. En effet, les odeurs sont stockées au niveau du cerveau limbique, responsable de nos réactions inconscientes, sous forme d'émotions liées au contexte dans lequel elles nous ont marqué. Lorsque l'on respire à nouveau une odeur, elle nous replonge dans ce contexte. Cette stimulation se fait donc en grande partie à l'insu du consommateur. Une aubaine pour des marketeurs peu scrupuleux : diffusion d'arômes artificiels de fruits mûrs sur des fruits qui ne le sont pas encore, odeur de cuir sur des produits en skaï...

Faire les courses a longtemps été une corvée. Si l'on fait en sorte que ce soit moins le cas, il est logique que le consommateur apprécie"

Jean-François Lemoine, Université de Nantes

Pour Patrick Hetzel, auteur de "Planète Conso" et professeur de marketing à l'Université parisienne Panthéon-Assas ainsi qu'à Limoges, "le risque de manipulation, dès qu'on touche au sensoriel, existe. S'il n'y a pas d'éthique, le marketing sensoriel peut être dangereux. Or, la question éthique est, effectivement, surtout posée pour les odeurs. L'exemple type de la tromperie est de diffuser une odeur de pain chez un distributeur de pain qui ne le fabrique pas sur place. Certaines grandes surfaces, pour contourner cette interdiction, fabriquent des petits-fours en très petite quantité dans le seul but qu'il y ait une vraie odeur de boulangerie." Les cas sont alors laissés à l'appréciation du contrôleur de la répression des fraudes. "Mais en pratique, peu de condamnations sont prononcées."

A l'accusation de manipulation, cependant, Jean-François Lemoine s'insurge. "Il ne faut pas croire qu'il y ait de recette miracle qui permette à coup sûr de provoquer l'achat. A chaque fois que l'on réfléchit à un point de vente ou à un produit, on repart à zéro. Ce n'est pas de la manipulation : ce n'est pas si facile ! Et le marketing sensoriel n'est pas plus dangereux ou machiavélique que d'autres types de marketing. Prenons l'exemple extrême des images subliminales. Des tests ont été faits aux Etats-Unis avec des films dans lesquels s'inséraient des images, apparemment imperceptibles, incitant à acheter du pop-corn et à boire du Coca-cola. Cela n'a jamais fonctionné. Alors voyez, avec le marketing sensoriel, comme on est loin de la manipulation…"


S'il ne manipule pas, pourquoi fonctionne-t-il ?
S'il a si peu d'influence sur la décision d'achat, comment expliquer que l'on constate bel et bien des résultats ? Pour l'expert, "le marketing sensoriel marche mieux non parce qu'il serait de la manipulation, mais parce qu'il constitue une variable de différenciation nouvelle, qui offre au consommateur un moment agréable. Pendant longtemps, faire les courses a été une corvée. Si l'on fait en sorte que ce soit moins le cas, il est logique que le consommateur apprécie… et que cela fonctionne un peu mieux."

Il est pourtant facile d'imaginer qu'un parent de famille nombreuse ou une personne aux revenus modestes soit moins sensible au marketing sensoriel et davantage au prix qu'un adolescent vulnérable aux effets de mode et plus facile à manipuler. Mais pour Jean-François Lemoine, "le marketing sensoriel est effectivement un facteur de segmentation. Les adolescents n'ont pas les mêmes attentes. Sauf qu'ils les avaient à l'origine, ce n'est pas le marketing sensoriel qui les a créées. Alors pourquoi ne pas y répondre ?"


Reste à s'assurer de l'intérêt du consommateur...
Pour Patrick Hetzel, "toutes les activités humaines sont faites de subjectif et d'objectif. Aussi, quand Air France dit "nous ferons du ciel le plus bel endroit de la Terre", on est dans le subjectif, mais le message est très pertinent : c'est simplement une manière d'envisager le rapport au client. Quand l'entreprise a une démarche éthique, c'est plutôt intéressant pour le consommateur."

Quand l'entreprise a une démarche éthique, c'est plutôt intéressant pour le consommateur"

Patrick Hetzel, Université Panthéon-Assas et Limoges

Une manière de vérifier l'éthique de ladite entreprise consiste à regarder si elle réalise des enquêtes pour savoir la façon dont est perçue une campagne. "Nature et Découvertes, par exemple, assure ce suivi qualité, explique Patrick Hetzel. Accor aussi, qui a beaucoup œuvré sur le design ou encore le toucher des tissus des chambres de ses hôtels, mène de nombreuses démarches qualité."

Jean-François Lemoine admet pourtant que le marketing sensoriel a sans doute un véritable impact sur les achats d'impulsion. "Ce sont des décisions non maîtrisées, qui relèvent de l'inconscient. Or, le marketing sensoriel agit dessus. Cela étant dit, c'est un procédé vieux comme le monde, de rendre ses étals plus attrayants que ceux du concurrent..."


A quel niveau le marketing sensoriel agit-il vraiment ?
Pour tempérer les effets du marketing sensoriel, il faut avoir à l'esprit qu'il existe toute une palette de réactions très variées. D'abord, certains consommateurs se montrent très méfiants : ils voient la moquette épaisse et se disent que les produits seront trop chers pour eux. D'autres s'énervent carrément, d'autant plus qu'ils sont maintenant assez informés de toutes ces techniques. D'autres encore n'ont aucune sensibilité à ce genre de pratiques : ceux qui par exemple ne font attention qu'au prix.

Comme l'explique Jean-François Lemoine, le marketing sensoriel peut agir à trois niveaux.
La perception de l'offre - bas de gamme ou haut de gamme - ce qui est une réaction cognitive.
Le niveau affectif, en agissant sur l'humeur, les émotions - c'est par exemple le plaisir que l'on éprouve à se trouver dans le point de vente.
Le niveau comportemental dont, en particulier, la décision d'achat.
"C'est sur ce dernier point qu'il y a le plus de contradictions. Autant d'études affirment que le marketing sensoriel permet d'augmenter les ventes que d'autres prétendent qu'il n'y change rien. En revanche, elles sont unanimes sur le fait que le temps passé sur le point de vente augmente. Or, si l'on y passe plus de temps, c'est qu'on y prend plaisir, donc on est peu à peu fidélisé. Lorsque l'on aura vraiment besoin de quelque chose, cela servira de marqueur et l'on reviendra."

Le marketing sensoriel est donc davantage une forme de marketing relationnel que transactionnel. Et en tant que tel, il est aussi difficile à appréhender que propice à la controverse.

Patrick Hetzel : "Les Américains se fichent du vrai et du faux"

"D'autres pays sont allés beaucoup plus loin que nous, au premier rang desquels les Etats-Unis, qui flirtent régulièrement avec la limite, même si la Food and Drug Administration essaie maintenant de réglementer ces pratiques.

"Les Américains n'ont pas hésité à inventer de toutes pièces un concept de restaurants italiens. Ils ont créé une fausse fondatrice, Tucci Benucci, l'ont doté d'une fausse date de naissance et d'une fausse histoire, et dit qu'elle utilisait les recettes de sa grand-mère sicilienne immigrée à New-York à l'époque de la diaspora italienne. L'ambiance, la décoration, la musique, les odeurs… tout est fait dans ces restaurants, très présents dans le Midwest, pour rappeler ce contexte. Au premier degré, on a l'impression que tout est vrai et l'on s'extasie devant les "produits authentiquement italiens sélectionnés par Tucci Benucci".

"Ceci dit, les Américains ont une grande habitude de ce genre d'articulation du vrai et du faux : ils s'en fichent. Ils peuvent préférer une réplique de la Joconde sous prétexte que ses couleurs sont plus proches de la toile de l'époque."

Pas étonnant, dès lors, qu'ils se montrent si inventifs.


Renault

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