Marc
Pagezy (Groupe Eurosearch)
"Demain, nous serons tous dans
une logique de CDD"
Les cadres sont amenés à devenir des "consommateurs
d'emplois". Une révolution pour les entreprises qui
devront apprendre à capter et à fidéliser les
talents.
Depuis près de quarante ans, le Groupe Eurosearch accompagne
les entreprises dans leur recrutement et la gestion des ressources
humaines. Le groupe, aujourd'hui implanté dans dix
pays, compte une équipe d'une cinquantaine de consultants
qui interviennent dans des secteurs d'activité aussi variés
que les services, la finance, la santé ou encore la distribution.
Rencontre avec Marc Pagezy, président d'Eurosearch et observateur
avisé de l'évolution des ressources humaines.
Au
cours des dernières années, quel est le paramètre
qui a le plus évolué dans l'univers des ressources
humaines ?
Marc Pagezy. Il me semble que c'est l'inconfort des salariés.
Face au contexte économique, les entreprises se sont mises
à faire des économies ou à se recentrer, plutôt
qu'à faire de la croissance. Dans cette logique, et avec
l'aide des nouvelles technologies, les niveaux de performance demandés
aux salariés se sont faits de plus en plus pressants. Du
coup, l'écart entre les attentes des salariés et les
objectifs des entreprises se creuse.
Et quelles sont désormais
les attentes des salariés ?
Elles ont radicalement changé. Il y a une vingtaine d'années,
les salariés étaient sensibles à la notion
d'appartenance et de fidélité. Mais avec les licenciements,
les salariés ont compris que l'appartenance et la fidélité
n'étaient que des beaux discours. Il y a une dizaine d'années,
les salariés sont alors devenus sensibles à la logique
de rémunération différée, c'est-à-dire
aux stock-options. Et puis les marchés financiers se sont
écroulés. Aujourd'hui, les salariés sont donc
très lucides. Ils attendent de la part des entreprises des
avantages immédiats et très concrets.
C'est-à-dire ?
Des paramètres comme le nombre de jours de RTT donnés,
les chèques vacances ou encore les colonies de vacances proposées
aux enfants sont devenus de grands critères pour les salariés
cadres. Cette logique est également perceptible sur les postes
de direction. Nous avons récemment effectué un recrutement
de directeur général, où les négociations
finales portaient sur les congés payés.
Cela signifie-t-il que les salariés
sont devenus plus attentifs à l'équilibre vie pro-vie
perso ?
Sûrement. Je crois que la vie professionnelle est de plus en plus
fatigante. Avec les nouvelles technologies, la pression est finalement
très forte et beaucoup de choses se gèrent désormais dans
l'immédiateté. Faute de croire à un eldorado financier, donc
d'être capables de faire des sacrifices, les cadres privilégient
tout ce qui leur permet de décompresser et d'apporter une
qualité de vie à leur famille.
Pour recruter et fidéliser les
talents, les entreprises doivent donc être vigilantes à
l'accompagnement social...
Oui, mais pas seulement. Parmi les avantages immédiats attendus
par les cadres, il y a l'apport professionnel et l'excitation intellectuelle
offerts par l'entreprise. Les salariés sont devenus très
sensibles à la qualité du projet qu'on leur propose
à court terme, avec un système de rémunération
transparent. Ils ne croient plus à la logique du plan de
carrière qui est, au final, rarement respecté. Un
plan de carrière suppose que l'on se projette dans le temps.
Or les cadres qui entrent aujourd'hui dans une entreprise ne s'y
voient plus dans cinq ou dix ans.
Nous allons donc vers une population
salariale très volatile ?
Tout à fait : le salarié se comporte de plus
en plus comme un consommateur d'emplois. Il accepte un poste parce
que l'entreprise l'intéresse, les conditions proposées
sont bonnes et que le projet lui permet d'engranger des compétences.
Et dès qu'un de ces trois critères fait défaut,
il s'en va voir ailleurs. Cette évolution consumériste sera
très sensible avec le rebond du marché de l'emploi.
Demain, nous serons tous dans une logique de CDD.
Mais, à long terme, cette forte
mobilité ne sera-t-elle pas pénalisante pour les salariés ?
Je ne pense pas. Nous sommes sur un marché où les
compétences recherchées se renouvellent de plus en
plus vite et où l'expérience est amenée à
devenir une valeur précieuse, suite aux départs à
la retraite massifs des seniors. Les cadres n'ont donc aucun intérêt
à se faire enfermer dans une entreprise, un secteur ou une
fonction. Dans les années à venir, le but du jeu pour
les salariés sera de rester le plus longtemps possible au
centre de l'échiquier pour bénéficier de toutes
les vagues.
Les jeunes cadres vous semblent-ils
préparés à ces évolutions ?
Préparés je ne sais pas, mais mieux armés.
Dans les années 90, le fossé qui séparait les
seniors de la nouvelle génération de cadres était
celui des nouvelles technologies. Le fossé qui sépare
aujourd'hui les seniors de la nouvelle génération
des cadres est, je crois, la mondialisation. Les jeunes cadres voient
loin, sont nés dans une Europe sans frontière. En
cela, ils partent avec une longueur d'avance : ils sont déjà
prêts à bouger de pays, donc d'entreprise.
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