Jean-Louis Daudier (Coface)
"Il subsiste des points noirs dans ces nouveaux pays membres"
L'attrait des nouveaux pays de l'UE est réel. Mais avant de partir à l'abordage, il est nécessaire de mesurer les forces et les faiblesses de cette nouvelle extension européenne.
(avril 2004)
Qui dit opportunités, dit risques. Un domaine sur lequel est positionnée la Coface, société spécialisée dans l'assurance-crédit export et dans l'information sur les entreprises. Pour garantir ses opérations, la société analyse et traite des dizaines de milliers d'informations afin de déterminer le niveau de risque financier par entreprise et par pays. Une expertise riche d'enseignements quand il s'agit d'accueillir dix nouveaux pays dans l'Union européenne. Rencontre avec Jean-Louis Daudier, expert risque pays sur les Peco (Pays d'Europe centrale et orientale).
De façon globale, quel va être l'impact de l'entrée des dix nouveaux pays dans l'UE ?
Jean-Louis Daudier. Il faut relativiser l'impact de l'intégration de ces pays. Cela ne va pas bouleverser de fond en comble le paysage économique de l'Union européenne. Il est vrai que ces économies connaissent une croissance forte, avec un écart moyen de près de trois points par rapport à la croissance des pays actuels de l'UE. Mais leur surface économique reste limitée : les nouveaux membres ne représentent que 4 % du PIB de l'Union, soit deux fois moins que l'Espagne et le Portugal en 1986. En outre, les exportations de l'euroland vers les pays candidats ne comptent que pour 10% du total de ses ventes à l'étranger.
L'arrivée de ces nouveaux pays dans l'UE comporte-t-elle des risques ?
Il subsiste en effet des points noirs. Tout d'abord, la situation n'est pas identique à celle qui prévalait lors de l'adhésion des pays d'Europe du Sud. Le niveau de richesse de ces pays est en effet relativement bas : le PIB par habitant des nouveaux membres ne représente que 40 % de celui de l'UE. De plus, la structure de ces économies est différente. Le poids de l'agriculture, en particulier, y est relativement important. Enfin, l'introduction des règles de l'économie de marché est relativement récente et parfois encore mal assimilée.
La situation financière de ces pays représente-t-elle une vulnérabilité ?
Oui, les déficits publics sont récurrents et tendent même à s'aggraver. Ils atteignent en moyenne 5,7 % du PIB en 2002-2003 dans la région. Ils sont le fait de dépenses sociales élevées, de subventions à des secteurs publics peu productifs, de coûts inhérents aux réformes et d'un besoin d'infrastructures important. La dette publique atteint ainsi des niveaux relativement élevés dans certains pays. Parallèlement, les économies de la zone présentent toujours, globalement, des comptes extérieurs fortement déficitaires. La région affiche en moyenne un déficit courant de près de 5 % du PIB, ce déséquilibre étant le reflet d'une consommation soutenue et de la modernisation de l'économie. En outre, les exportations ont pâti du décalage conjoncturel avec l'UE et, dans certains cas, de pertes de compétitivité. Tant que les nouveaux membres n'auront pas intégré la zone euro, ces déséquilibres rendront certains pays vulnérables à une crise de change, qui pourrait être à l'origine de défaillances en chaîne d'entreprises locales encore fragiles. Dans ce contexte, les entreprises françaises doivent saisir les nombreuses opportunités qui se présentent à elles, sans négliger de vérifier la solidité financière de leur futur partenaire commercial.
Comment aujourd'hui jugez-vous le niveau de risque sur ces pays ?
Nous nous appuyons sur notre notation pays @rating qui mesure le niveau moyen de risque d'impayé à court terme présenté par l'ensemble des entreprises d'un pays. Le classement croise l'expérience des paiements du groupe Coface sur les entreprises et une note pays calculée selon des critères économiques, financiers et d'environnement politique. Les dix pays en question obtiennent aujourd'hui une note qui évolue entre A2 et A4, sur une échelle de sept niveaux, le meilleur étant A1. Nous sommes donc, globalement, en présence de bons risques. Le risque politique est faible au regard des autres pays émergents. Surtout, ces pays affichent de bonnes performances en terme de croissance, faisant preuve de résistance dans le contexte de ralentissement de l'économie mondiale. Ainsi, il n'est pas étonnant de constater que la Hongrie, la République tchèque et la Slovénie ont à l'heure actuelle la même note que la France et l'Allemagne, c'est-à-dire A2.
La France est l'investisseur numéro un en Pologne."
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Reste que cet élargissement offre de nouvelles opportunités pour les entreprises françaises...
Tout à fait. Ces dix pays offrent tout d'abord des opportunités commerciales. Les échanges entre la France et les Peco augmentent de près de 15 % par an. Nous avons à faire à des marchés géographiquement proches, dont les habitudes de consommation ne sont pas très éloignées des nôtres. Par ailleurs, ces pays modernisent leurs unités de production et mettent à niveau leurs infrastructures. Ils représentent donc de nouveaux débouchés et dans différents domaines - télécoms, transports, électricité ou encore agro-alimentaire - les entreprises françaises ont des cartes à jouer.
Et quelles sont les opportunités en matière d'investissements ?
Sur le plan des investissements directs, les choses sont également déjà engagées. La France est le troisième investisseur dans les Peco, derrière l'Allemagne et les Etats-Unis. Et nous sommes l'investisseur numéro un en Pologne. Les opportunités vont continuer à se multiplier sous l'impulsion des financements communautaires, des aides accordées par chaque Etat et des avantages fiscaux proposés. Par ailleurs, l'harmonisation des normes comptables et des obligations déclaratives des entreprises permet d'améliorer l'information financière et de faciliter le choix des partenaires commerciaux. L'amélioration de l'environnement juridique renforce, de plus, la protection des créanciers.
Ces nouveaux pays représentent-ils un point de chute idéal pour la délocalisation ?
De grandes entreprises européennes, notamment les constructeurs automobiles, se sont déjà fortement engagés dans cette voie en déployant des unités de production dans ces pays, où la main d'oeuvre est qualifiée et les coûts salariaux encore faibles. Mais il faut noter que, d'une part, des cadres locaux ont tendance à quitter leur pays à la recherche de salaires plus élevés et que, d'autre part, avec l'intégration européenne, les coûts de main d'oeuvre vont avoir tendance à augmenter, ce qui risque de rendre à terme cette stratégie de délocalisation moins attractive.
PARCOURS
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Titulaire d'un diplôme d'études approfondies (DEA) de sciences économiques, Jean-Louis Daudier intègre le groupe Coface en 1981. Il s'occupe alors de la gestion d'accords bilatéraux de réaménagement de dettes, dans le cadre du Club de Paris. Depuis
1991 il est expert risque pays, d'abord sur l'Amérique latine, puis sur l'Europe centrale et orientale. |
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