Marie-Françoise
Le Tallec (Forum des droits sur l'Internet)
"Les salariés ne sont pas toujours suffisamment informés"
Le Forum des droits
sur l'Internet préconise de faire figurer la position de
l'entreprise dans le règlement intérieur.
(mars 2004)
Créé avec le soutien des pouvoirs publics, le Forum des droits
sur l'Internet est un organisme compétent sur les questions de droit
et de société liées à l'Internet. Il a pour mission d'organiser
la concertation entre les pouvoirs publics, les entreprises et les
utilisateurs sur ces questions. En septembre 2002, le Forum a rendu
un rapport sur "Relations du travail et Internet" dont
Marie-Françoise Le Tallec était l'un des rapporteurs.
Aujourd'hui secrétaire générale du Forum, elle
revient sur ce document et les évolutions qui ont suivi.
Qu'avez-vous découvert avec le groupe
de travail "Relations du travail et Internet" ?
Marie-Françoise Le Tallec. Le groupe était constitué d'une
dizaine de personnes : des experts, des professionnels du droit,
des consultants, des représentants du monde de l'entreprise et du
patronat, des syndicats, des chercheurs, etc. Il a rendu son rapport
à la rentrée 2002. Notre principale découverte a été que le développement
d'Internet pose de vraies questions sur son usage dans l'entreprise,
des questions souvent sans réponse. Le sujet intéresse aussi bien les dirigeants
que les syndicats et les salariés. La problématique est juridique,
mais il existe aussi des interrogations sociologiques sur la part
à faire entre vie personnelle et vie professionnelle.
Quelles
étaient les positions de chacun ?
Paradoxalement, il n'y avait pas de positions dures ou opposées
sur le sujet. J'ai été frappée par l'atmosphère studieuse et interrogative
de ce groupe de travail. Les points de vue n'étaient pas divergents.
Chacun cherchait à comprendre les enjeux. Les employeurs ont mis
en avant le caractère professionnel de l'outil et souhaitaient donc
contrôler l'accès. Aucun syndicat ne prêchait pour une liberté totale
d'usage. Quant aux salariés, ils admettaient que l'utilisation
d'Internet devait être raisonnée et encadrée.
Quelle était la principale raison évoquée
par les employeurs en faveur du contrôle ?
Les employeurs ont mis en avant la question de leur responsabilité.
En cas de consultation de sites pornographiques ou de mise en ligne d'informations, l'entreprise peut être considérée comme responsable.
Un jugement du Tribunal de grande instance de Marseille a été rendu
le 11 juin 2003 donnant la responsabilité à l'employeur. Un de ses
salariés animait un site critiquant une société d'autoroute depuis
son poste de travail. Cette société a saisi la justice non seulement
contre le salarié mais aussi contre son entreprise, et a obtenu
gain de cause (lire à ce sujet la tribune de
maître Isabelle Renard).
Clarifier la position de l'entreprise
dans le réglement intérieur"
|
Quels étaient les autres arguments
des employeurs ?
Les employeurs ont évoqué le coût de la bande passante et son encombrement,
mais l'argument n'est pas valable pour l'envoi d'un simple mail
par exemple. Enfin, ils ont fait part de la menace représentée par
les virus, qui touchent surtout les petites entreprises.
Avez-vous ressenti une réticence des
entreprises sur l'utilisation du Net par les salariés ?
Les entreprises que nous avons auditionnées étaient ouvertes au
dialogue. Il s'agissait surtout de grandes entreprises, mieux armées
grâce à un département juridique pouvant se pencher sur la question.
Je pense que les PME sont plus démunies. Elles n'ont pas forcément
un manque de volonté mais n'ont pas les outils juridiques. Dans
le doute, elles interdisent. Si elles étaient mieux informées, elles
auraient sans doute une position moins négative.
Quelles sont aujourd'hui les recommandations du
Forum des droits sur l'Internet concernant l'usage d'Internet au
bureau ?
Il s'agit d'un sujet tout en nuances, notre position ne saurait
être tranchée. Nous considérons qu'Internet est avant tout un outil
à usage professionnel. Le salarié peut l'utiliser de manière raisonnée
et encadrée. L'usage d'Internet par un salarié ne doit pas représenter
de coût ni de risque pour l'entreprise, et ne doit pas avoir d'impact
sur la qualité et la durée du travail.
Selon le Forum, quel est le meilleur
moyen de contrôler l'usage d'Internet ?
Nous sommes arrivés à la conclusion que le meilleur moyen de réguler
l'utilisation d'Internet est de clarifier la position de l'entreprise
dans le règlement intérieur, en précisant les modalités d'action.
Le règlement intérieur est en effet connu de tous les salariés.
Pour garantir une meilleure visibilité, nous avons même proposé
d'ajouter ces dispositions en annexe du contrat de travail. Les
entreprises ont tout à gagner à jouer la transparence, qui les protége
devant les tribunaux, à condition de ne pas prévoir de sanction
disproportionnée par rapport à la faute.
Depuis le rapport, quelles évolutions
avez-vous pu observer ?
L'usage d'Internet au bureau demeure toujours une problématique
importante. A l'époque où nous avons travaillé sur le sujet, nous
étions précurseurs. Les problèmes que nous avions soulevés ne se
posaient pas dans toutes les entreprises. Deux ans plus tard, ces
questions touchent un plus grand nombre de salariés. Depuis le rapport,
nous avons reçu de nombreuses questions sur le site Droitdunet.fr,
surtout de la part de salariés, sur l'utilisation de leur messagerie
à des fins personnelles. On peut donc considérer que les salariés
ne sont pas suffisamment informés. Les entreprises doivent mieux
communiquer sur les dispositifs qu'elles mettent en place.
L'usage d'Internet à des fins personnelles
a-t-il diminué la publication du rapport ?
Nous ne savons pas dans quelle proportion les salariés utilisent
Internet au bureau. L'usage doit être relativement constant, avec
probablement une baisse car les salariés ont de plus en plus la
possibilité de surfer chez eux à haut débit.
Et où en est-on sur la place accordée aux syndicats sur les supports Internet ?
Le Forum préconisait dans son rapport des négociations prévoyant
l'usage de l'Internet par les organisations syndicales. Il a été
entendu dans le cadre du projet de loi formation professionnelle.
Une disposition législative, qui prendra effet le 7 avril modifiera
l'article 412 - 8 du Code du travail, permettra aux syndicats d'utiliser
l'Intranet de l'entreprise (lire à ce sujet la tribune
de maître Gérard Haas).
PARCOURS
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Diplômée en droit et en science politique, Marie-Françoise
Le Tallec, 40 ans, a travaillé à partir de 1993 dans les services
du Premier ministre à la Direction du développement des médias
(DDM) où elle était en charge des dossiers liés aux nouvelles
technologies. Elle a occupé ensuite, à partir de 2001, la fonction
de directrice juridique adjointe à l'Institut national de l'audiovisuel
(INA). Elle est coauteur du Code de la communication aux
éditions Dalloz et chargée de cours à l'université Paris II
et Paris VIII. Elle a rejoint le Forum des droits sur l'Internet
à sa création en mai 2001. Elle est aujourd'hui secrétaire général
du Forum. |
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