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ENTREPRISE
 
02/09/2005

L'entreprise paralysée face au handicap

De la simple allergie à la paraplégie, les entreprises doivent légalement et stratégiquement prendre en compte le handicap, comme le font déjà PPR et Air France. Une démarche pas toujours facile.
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Sommaire
  Le handicap en France
  Les initiatives
  Les enjeux
Une loi de 1987 rend obligatoire un taux de 6% de travailleurs handicapés au sein de l'effectif des entreprises de plus de vingt personnes. Mais moins de la moitié des entreprises françaises se conforme à la législation. Outre parfois quelques réticences à recruter des travailleurs handicapés, nombre d'entreprises rencontrent des difficultés à trouver le bon profil et font face à un véritable parcours du combattant dans leur processus de recrutement. Comment en effet trouver les compétences voulues dans une population handicapée en recherche d'emploi qui ne s'élevait qu'à 258.000 personnes en 2004 et dont le niveau universitaire ou professionnel est inadéquat ? Pourtant les structures spécialisées de préparation et de reclassement (Agefiph, EPSR, OIP...) sont innombrables. Enquête.

Emploi des personnes handicapées : état des lieux
Sujet périphérique il y a quelques années, le handicap fait partie des cinq premières préoccupations des entreprises, au même titre que le vieillissement ou la couverture sociale. "Depuis deux ans, la situation évolue avec les questions de développement durable et la remise en chantier de la loi de 75 et 87", explique Pierre Blanc, directeur du service aux entreprises de l'Agefiph, fonds pour le développement de l'emploi des personnes handicapées, qui récolte les contributions des entreprises dont le taux de salariés handicapés est inférieur à 6 %. "Les donneurs d'ordres sont les premiers à prendre en compte la responsabilité sociale des entreprises."

Les petites entreprises sont très proches du terrain"

Emmanuel Constans
Selon les chiffres 2004 de l'Agefiph, seuls 45 % des établissements assujettis à l'obligation d'employer des personnes handicapées atteignent leur quota, et 29 % des établissements n'emploient aucun salarié handicapé. La notion de handicap est encore trop souvent restreinte à quelques clichés au lieu de la prendre au sens large du terme, c'est-à-dire tout ce qui peut gêner plus ou moins, temporairement ou pas, la vie personnelle et professionnelle d'un individu. Cela va de l'allergie au cancer, de l'épilepsie à la dépression, de la paraplégie à la restriction de port de charge, ou encore au diabète et aux problèmes de mémoire... Le recrutement de personnes handicapées demande une connaissance de leur milieu et de leurs problèmes. Et les entreprises, désemparées pour employer des salariés handicapés, ne savent pas vers qui se tourner, les structures expertes de préparation et de reclassement étant très nombreuses.

Aujourd'hui, la majorité des travailleurs handicapés travaillent dans des entreprises de moins de 20 salariés. "Ces petites entreprises sont très proches du terrain et se caractérisent par une approche directe des candidats, analyse Emmanuel Constans, délégué de l'Adapt. Dans les grandes entreprises les systèmes de recrutement sont nettement plus lourds et formalisés. Tout dépend alors de la manière dont le recruteur va réagir. Mais souvent les craintes tombent après un premier recrutement." D'un autre côté, dans des groupes comme Carrefour ou Casino où le turn over est important, on trouve des cellules de recrutement entièrement dédiées aux personnes handicapées, dont la fidélité à l'entreprise est appréciée.

Les entreprises qui ont déjà sauté le pas : PPR, Air France...
En mars 2004, le groupe PPR - 300 sites assujettis et 47.000 personnes en France - a inauguré sa propre Mission Handicap. La proportion de salariés handicapés atteignait à l'époque 3,36 %. Le but est d'atteindre les 6 % en 2008. "Notre plus grand frein a été la méconnaissance du sujet", souligne Magali Stamegna, responsable de la mission handicap chez PPR. Aujourd'hui la mission compte une dizaine de personnes représentant chacune une enseigne, avec des postes tels qu'un directeur de magasin, un médecin du travail salarié, ou une personne des ressources humaines, suivant les besoins de chaque enseigne. La mission est rattachée à la direction du développement social et des rémunérations qui dépend de la DRH.

"A partir d'un tronc commun nous envisageons les problématiques différentes suivant les enseignes, explique Magali Stamegna. Pour Redcats par exemple, il s'agit de la prévention et du traitement de l'inaptitude due aux process industriels." La mission très récente développe les chantiers au fur et à mesure, celui de la formation étant prévu pour 2006. Aujourd'hui une filière de reclassement par enseigne travaille main dans la main avec la mission handicap. "Il était impératif de ne pas créer de filière parallèle pour l'emploi des personnes handicapées, et suivre les processus classiques de l'entreprise."

Chez Air France, la mission handicap est active de longue date. "Suite à la loi de 1987, nous avons signé un premier accord d'entreprise en 1991, relate Caroline Millous, responsable de l'action sociale chez Air France et chargée de la politique emploi handicap. A l'époque nous comptions moins de 3 % de personnes handicapées dans notre effectif, hors personnel à l'étranger. Fin 2004, la proportion atteignait 6,2 % sur un total de 55.000 personnes." Au lieu de verser un montant à l'Agefiph, le budget est alloué à la mission handicap, soit 1,6 million d'euros en 2004.

Au sein d'Air France, les salariés handicapés ont aussi bien des postes de mécanicien, d'informaticien, d'agent de gestion ou des services commerciaux. Il n'y a pas de poste réservé à des individus handicapés. En revanche, il y a très peu de navigants handicapés à cause de la visite d'aptitude au conseil de l'aviation civile qui interdit toute déficience physique, sensorielle... En 2005, en pleine maturité, la mission handicap d'Air France a créé une formation gratuite pour les personnes handicapées qui ont postulé comme agent d'escale commerciale et ont manqué de peu le recrutement. La formation de dix personnes sur sept mois permet à cinq d'entre elles d'être en cours d'embauche actuellement. Aujourd'hui, Air France souhaite rééditer la formation, mais ne trouve pas de candidat qui ait le niveau d'entrée...

Un problème de société et non d'entreprise "

Caroline Millous
"Le problème sur un poste de cadre n'est pas le handicap mais le niveau de formation trop bas. C'est un problème de société et non d'entreprise, interpelle Caroline Millous. On ne trouve pas de cadre handicapé." La population des demandeurs d'emploi handicapés ne compte que 12.000 cadres selon l'Agefiph, tous secteurs confondus, soit moins de 5 % de la population handicapée. Pourtant, selon Emmanuel Constans, de l'Adapt, "la demande de formation est énorme, tout autant que les listes d'attente. Les places manquent comme les crédits de formation consentis par l'Etat." Il y a seulement 8.000 étudiants handicapés en université, école ou IUT.

Des enjeux non négligeables pour les entreprises
Or recruter des salariés handicapés présente un enjeu financier important pour les grandes entreprises (lire l'article "Recruter des salariés handicapés"). Les entreprises qui n'atteignent pas le quota de 6 % de salariés handicapés versent des contributions à l'Agefiph qui se montent au total à 404 millions d'euros pour l'année 2004. Par ailleurs, Jean-Luc Odeyer, consultant en ressources humaines, précise que "la loi du 11 février 2005 transforme la possibilité des entreprises de négocier avec les partenaires sociaux en une obligation chaque année, sauf si des accords sont négociés, ce qui laisse trois ans de délais et exempte l'entreprise de contribution".

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Pour Guy Tisserant, fondateur de TH Conseil société de conseil et formation pour handicapés, il s'agit d'un enjeu stratégique, notamment au regard du papy-boom. "On ne peut pas se permettre d'ignorer les 258.000 demandeurs d'emplois handicapés, soit 28 % de la population invalide, contre 10,2 % pour les valides." Les entreprises "fabriquent" de plus en plus de handicapés psychologiques ou physiques car les gens travaillent de plus en plus tard et vieux. "Il ne faut pas attendre pour s'occuper du problème", prévient-il. Aujourd'hui, selon l'Agefiph, moins de 15 % des actifs handicapés le sont de naissance, environ 40 % par accident ou maladie lié au travail, et 45 % suite à des accidents de la vie. Et d'après Guy Tisserant, 80 à 90 % des entreprises qui recrutent des personnes handicapées en sont très satisfaites. Inclure une personne handicapée dans une équipe amène les gens à relativiser leurs propres problèmes...

Agefiph : Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées
EPSR : Equipe de préparation et de suite du reclassement
OIP : Organismes d'insertion et de placement
Adapt : Association pour la réinsertion sociale et professionnelle des personnes handicapées
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