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ECONOMIE
 
juillet 2005

Qui peut défier le dollar ?
Yuan et roupie prosternées devant le roi dollar

Les monnaies chinoises et indiennes sont utilisées par un tiers de la population mondiale mais n'ont encore que peu de poids à l'international du fait de leur très forte dépendance au dollar.
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Présentées comme les deux économies émergentes du XXIe siècle, l'Inde et la Chine ont aussi en commun la contrainte liée à une libéralisation financière internationale de plus en plus pressante. C'est un véritable challenge au regard de la nature dirigiste et planifiée de l'économie chinoise construite sur fondement communiste, mais aussi des enjeux de la transformation profonde du marché indien. Celle-ci n'a véritablement débutée qu'en 1991 avec Manmohan Singh, l'actuel premier ministre, alors ministre des finances. Mais si les contraintes sont partagées, les solutions pour les dépasser, par les politiques monétaires notamment, ont des orientations bien différentes.

Concernant le renminbi, nom officiel du yuan désignant la "monnaie du peuple",
il se caractérise avant tout par un taux de change fixe avec le dollar américain (1 dollar pour 8,28 yuan) dans une bande étroite de 0.3 %. Cette situation perdure depuis la réforme de la banque centrale chinoise du 1er janvier 1994, entrée en vigueur en 1995. En dix ans, ce taux est demeuré inchangé, car les dirigeants chinois ont perçu l'avantage de cet arrimage à une monnaie hégémonique.

C'est en effet une façon de s'assurer l'ouverture du marché américain vers lequel sont principalement dirigées les exportations (la chaîne de grande distribution Wal-Mart importe 70 % de ses produits de Chine). Ce système de change fixe, nommé "Peg" en anglais (cheville), a protégé le développement de la Chine, mais comporte quelques inconvénients. En voulant répondre à un impératif de croissance orientée sur le commerce extérieur, la Chine renonce notamment à une grande part de son autonomie monétaire, et joue gros à augmenter sans cesse ses réserves en dollars.

Tant que le système bancaire n'est pas assaini, rien ne sert d'introduire une flexibilité du yuan"

Jean-Pierre Allegret , Gate/CNRS

Globalement, ses réserves de change sont aujourd'hui supérieures à 650 milliards de dollars, dont une bonne partie (environ 60 %) est effectivement en devises américaines. Selon les prévisions, le montant des réserves de dollars devrait atteindre les 600 milliards en 2006.

Deux risques pèsent sur une telle accumulation de réserves. D'abord, la chute du cours du dollar aurait des conséquences terribles sur la croissance de la Chine. La solution serait donc de diversifier ces réserves, notamment en euros, mais c'est encore relativement peu le cas. Second risque: l'inflation, c'est-à dire l'augmentation de la masse monétaire causée par cet afflux de billets verts. Pour s'en prévaloir, la Chine mène une politique de stérilisation (la banque centrale émet des titres et les vend sur le marché monétaire en échange de sa propre monnaie qu'elle retire de la circulation) et impose une politique de restriction sur les prêts bancaires des entreprises des secteurs liés à l'export, qui sont en surchauffe. In fine, si l'imminence de la fin du système de taux de change fixe yuan-dollar est parfois annoncée, elle est surtout le fruit de pressions politiques.

"Si, politiquement, l'Europe, les Etats-Unis et le Japon font pression pour une réévaluation du yuan, les économistes sont beaucoup plus prudents étant donnés les nouveaux déséquilibres que pourrait entraîner une telle décision", note Jean-Pierre Allegret, chercheur au Gate/CNRS (Groupe d'Analyse et Théorie Economique), auteur de Les régimes de change dans les marchés émergents, quelles perspectives pour le 21ème siècle ? Ainsi Robert Mundell, prix Nobel d'économie en 1999, s'est récemment prononcé contre toute réévaluation du yuan lors d'une conférence à Pékin. Cette idée est pour lui le résultat d'une logique défectueuse : réévaluer le yuan pour modifier le flux d'échange, c'est négliger que le surplus de la Chine avec les Etats-Unis a finalement peu de lien avec le taux de change du yuan. Mais surtout, "les économistes sont sceptiques sur une sortie du Peg à court terme, constate Jean-Pierre Allegret. Tant que le système bancaire n'a pas été assaini, rien ne sert de tenter d'introduire une flexibilité du yuan qui aurait des conséquences brutales."

Par ailleurs, l'arrimage au dollar permet de passer outre les inconvénients macroéconomiques que peuvent produire une mauvaise synchronisation entre taux de change et taux d'intérêt. Ainsi, en ce qui concerne le taux de change, la banque centrale chinoise a toujours pris soin de réagir en fonction des évolutions des politiques de Washington. Le système a survécu à la crise asiatique de 1998 ainsi qu'à la récession américaine de 2000, et la politique du dollar fort a conforté la Chine dans l'idée d'y rester arrimée. En ce qui concerne le taux d'intérêt directeur, il vise davantage à satisfaire les besoins d'un système bancaire fragile plus qu'à ceux de l'économie chinoise. En effet, le marché bancaire chinois reste très modeste, étant donné la forte proportion d'entreprises encore détenues par l'Etat et compte-tenu du fait que les ménages détiennent essentiellement des liquidités.

Il n'y a pas forcément de lien entre le poids économique d'un pays et sa puissance monétaire."

Jean-Pierre Allegret , Gate/CNRS
Concernant l'Inde, le taux de change de la roupie n'évolue pas dans un système de change fixe comme la Chine mais suit un flottement contrôlé par la banque centrale. Celle-ci applique une politique monétaire neutre, pour une inflation contenue. L'institution n'a pas véritablement d'objectif de taux de change, mais elle contrôle tout de même une fluctuation par rapport au dollar. "La politique monétaire amorcée à la fin des années 90 est assez éclectique, puisqu'elle vise officiellement à contrôler l'inflation avec une batteries d'indicateurs sur la stabilité des prix. Il n'y a pas d'objectif explicite annoncé au niveau monétaire", souligne le chercheur. Cependant, au niveau budgétaire, le gouvernement s'est engagé auprès du FMI à atteindre l'équilibre pour 2008-2009.

Au rang des prédictions économiques les plus prometteuses, l'Inde fait bonne figure depuis quelques années. Le cabinet d'analyses de la banque américaine Goldman Sachs en fait la troisième économie mondiale en 2030. Certes, l'Inde accuse un important retard vis-à-vis de la Chine, notamment en termes d'ouverture de l'économie. Cependant, le pays attire de plus en plus les capitaux, et ce malgré les barrières imposées par le code de l'investissement indien (tout investisseur étranger doit obligatoirement travailler avec un intermédiaire indien sur place).

La politique monétaire indienne est décidée par les autorités démocratiquement élues qui peuvent conduire à l'augmentation de la masse monétaire et donc à l'appréciation de la monnaie indienne. Depuis 2001, la roupie s'est appréciée par rapport au dollar en valeur nominale. En revanche, en valeur réelle, elle s'est dépréciée puisque la plupart des exportations indiennes se font vers les Etats-Unis ou vers des pays dont les monnaies suivent le dollar, qui lui-même s'est déprécié.

"Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de relation obligatoire entre le poids économique d'un pays dans le commerce international et celui de sa monnaie. Prenez le Japon, par exemple : cette puissance économique majeure n'a jamais été véritablement menée par une grande monnaie", remarque-t-il.

La monnaie chinoise peut avoir un rôle international plus important que celle de l'Inde"

Jean-Pierre Allegret , Gate/CNRS
Cependant, dans le jeu des monnaies internationales, l'avantage semble avoir été pris par le yuan. "La monnaie chinoise peut avoir un rôle international plus important que celle de l'Inde car la Chine importe beaucoup de capitaux et commence à s'implanter en dehors de ses frontières." C'est un signe important de consolidation d'une monnaie. L'Inde n'opère pas encore à des investissements directs à l'étranger, contrairement à la Chine, comme en témoigne l'actuelle tentative d'OPA de la société chinoise Cnooc sur le géant américain de l'exploration pétrolière Unocal. L'exportation de capitaux, tels que des prêts bancaires ou les investissements directs à l'étranger, permet en effet de tisser un réseau dans lequel les échanges se feront en yuan, et non plus en dollars.

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Ainsi, si la roupie et le yuan ne jouent pas encore un rôle prédominant sur le marché mondial, la Chine et l'Inde impactent déjà le marché économique mondial. Ils exercent dès à présent, avec la Corée du sud et la Thaïlande, une pression étonnante sur les taux longs. Aux Etats-Unis, on observe par exemple une hausse des taux courts non suivie par celle des taux longs, ce qui est assez peu habituel. Cela s'explique par le fait que les pays d'Asie achètent massivement des obligations d'Etat américaines avec leurs dollars pour gagner des intérêts. La Chine aurait ainsi placé 174 milliards de dollars en bons du Trésor américain, indique des statistiques américaines.

Livre
Les régimes de change dans les marchés émergents, quelles perspectives pour le 21ème siècle ?
(Jean-Pierre Allegret - Vuibert, Collection Entreprendre - 17/02/2005)
Quel type de régime de change est-il le mieux à même de permettre aux économies émergentes une insertion stable dans le système financier mondial tout en leur garantissant une stabilité interne ? Le choix du régime de change est abordé dans une double perspective. D'une part, les développements théoriques récents liés aux choix du régime de change sont analysés. D'autre part, les études empiriques sont mobilisées afin de montrer les avantages et inconvénients de chacun des régimes possibles. Il s'agit donc de présenter une synthèse des travaux les plus récents sur cette question et de confronter les conclusions théoriques de ces travaux aux données empiriques.

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