06/07/2005
Qui peut défier le dollar ? L'euro ne
fait plus l'unanimité
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Ces dernières semaines, les
critiques contre l'euro se sont multipliées, émanant de l'opinion publique ou
de ministres de l'Euroland. Mais le procès de l'euro est-il justifié ? |
La fin de l'euro serait-elle
proche ? La monnaie commune européenne fait en tout cas l'objet de
récentes critiques, émanant à la fois du public et de responsables
politiques. A l'occasion de sondages(*) réalisés
début juin, 61 % des Français et 56 % des Allemands ont
déclaré regretter leur monnaie nationale. Ces déclarations
viennent conforter une série d'autres événements. L'opérateur
téléphonique Deutsche Telekom annonçait début juin
qu'il réintroduisait l'usage, pour quelques mois, des marks dans les cabines
téléphoniques à la parité 1 euro = 1 mark.
L'opération visait officiellement à écouler les anciennes
pièces encore détenues par les Allemands. D'autres n'ont pas hésité
à se servir de l'euro comme bouc émissaire. Wolfgang Clement, le
ministre de l'économie allemande, a déclaré début
juin que, pour lui, l'euro était plus un handicap qu'un atout pour l'Allemagne.
En Italie aussi, les attaques contre l'euro vont bon train. Des ministres de la
Ligue du Nord, tel que Roberto Maroni, font part ouvertement de leur défiance
envers l'euro et souhaitent organiser un référendum sur le retour
à la lire. Néanmoins un retour au franc, au mark, à la
lire... est-il possible ? Pas si l'on en croit les déclarations des dirigeants
de la BCE (Banque centrale européenne). Jean Claude-Trichet, son président,
a jugé cette idée "absurde". De plus aucune clause n'est prévue dans le traité
de Maastricht pour sortir de la zone euro. Mais pourquoi la monnaie unique, hier
approuvée par la majorité des Français (ils étaient 61 % en février 2002
à ne pas regretter l'euro, selon un sondage Ifop), attire-t-elle maintenant les
foudres non seulement des "nonistes" au projet de traité instituant
une constitution pour l'Europe mais aussi, et c'est plus surprenant, des pro-constitution
(44 % d'entre eux regrettent le franc) ?
Aujourd'hui
la situation n'est pas inflationniste"
Gilles Jacoud, ISEAG (St Etienne) |
L'un des faits principaux est l'illusion qu'ont les Français qu'après
le passage à l'euro tout est devenu plus cher. Un sentiment perçu également en
Allemagne où on y a inventé un terme pour désigner la monnaie unique : Teuro,
contraction de "teuer" (cher) et de "euro". Or, selon Gilles Jacoud, professeur
à l'ISEAG et auteur de plusieurs ouvrages sur l'euro dont Le système
monétaire et financier européen - la monnaie dans la zone euro, en
France, "il est possible que le passage à l'euro se soit traduit sur le moment
par un coup de pouce aux étiquettes mais aujourd'hui la situation est loin d'être
inflationniste." En effet l'indice général des prix est resté autour de la limite
fixée par la BCE, soit 2 % d'augmentation annuelle. Un autre facteur
à cette remise en question de l'euro est la situation sociale et économique morose
qui a coïncidé avec l'arrivée de la monnaie commune dans le porte-monnaie
des Français et dont on en a tiré une causalité. Or, s'il est vrai qu'au Royaume-Uni,
qui n'a pas accepté l'euro, la croissance est supérieure à celle de la France
et que le taux de chômage tourne autour de 4 %, quand en France il est au-delà
de 10 %, cela ne veut pas dire qu'il faille attribuer cette situation à
l'euro. Au Danemark par exemple, pays membre de la zone euro, le chômage tourne
autour de 6 % alors qu'il était encore il y a quelques années au-dessus des
10 %. C'est le "système social danois", montré en exemple dernièrement
par Dominique de Villepin, qui a permis cette évolution. Conclusion : s'il
est déraisonnable d'imputer tous les dysfonctionnements à l'euro,
il ne faut pas non plus s'attendre à ce qu'il règle tous les problèmes sociaux
économiques internes. Néanmoins, ces disparités entre les
pays de l'Euroland, du fait de la multiplicité des politiques qui y sont
menées, posent le problème des chocs asymétriques. Doit-on
mener une politique monétaire expansionniste ou de "refroidissement"
quant certains pays comme la France, l'Allemagne ou l'Italie ont une croissance
avoisinant zéro alors que d'autres, comme l'Irlande, sont à la limite
de la "surchauffe" ? Il faut noter que ce problème
existe dans d'autres entités géopolitiques. Aux Etats-Unis, la conjoncture
est loin d'être uniforme entre l'Etat de New York et l'Alaska. Mais il est
vrai que la mobilité, aisée outre-Atlantique et qui facilite les
ajustements entre Etats, est freinée en Europe par les traditions et les
différences de langues. En Chine également il existe de fortes disparités
entre le littoral en pleine expansion et l'arrière pays encore largement
sous développé. Il n'en est pas moins vrai que ces entités
ont intérêt à l'unité monétaire. "Le
problème est que, dans l'Union européenne, la politique monétaire et la
politique budgétaire ne sont pas confiées aux mêmes entités. La première
est gérée au niveau supranational tandis que la seconde est du ressort des Etats",
explique Gilles Jacoud. Or, ces deux politiques sont les deux face d'une même
pièce. Une harmonisation des politique budgétaires au niveau européen pourrait
donc être jugée souhaitable. Il faut rappeler dans ce domaine l'existence
du Pacte de stabilité, même si celui-ci est sacrifié face aux intérêts nationaux.
De même, certains s'inquiètent de l'entrée dans
la zone euro de pays plus pauvres. Une crainte qu'écarte Gilles Jacoud :
"Cela permettra à l'euro d'étendre son champ d'utilisation,
ce qui ne peut-être qu'une bonne chose pour la monnaie unique. A partir
de là, le fait que ce soit des pays plus pauvres ne peut pas nuire à
l'euro."
Si
nous n'avions pas eu l'euro, le franc aurait été fortement attaqué
après le non à la Constitution"
Gérard-Marie Henry, Université de Reims |
Mais si l'euro n'est pas porteur de tous les torts qu'on lui attribue,
présente-t-il pour autant des avantages face aux anciennes monnaies nationales ?
Premièrement, "l'euro est actuellement unité de compte et moyen
de paiement non-seulement sur le plan national mais aussi sur le plan européen.
C'est un avantage pour les pays de la zone", affirme Gilles Jacoud. De plus,
"l'euro devient de plus en plus une réserve de valeur. C'est actuellement
la deuxième réserve de valeur internationale tandis que la part
du dollar tant à se réduire", note le professeur de l'ISEAG.
C'est un élément important pour ne pas subir la politique monétaire
américaine. Pour Gérard-Marie
Henry, professeur à l'université de Reims et auteur de Dollar
: la monnaie internationale : Histoire, mécanismes et enjeux, "si
nous n'avions pas l'euro, notre situation serait délicate compte-tenu des
incertitudes politiques. Le franc serait en ce moment fortement attaqué".
En effet, avant l'existence de la monnaie unique, la France devait se résoudre
aux dévaluations pour préserver le cours de sa monnaie face à
celui du deutsche mark, ce dont nous n'avons plus à nous inquiéter
aujourd'hui. * Sondage Ifop-Valeur Actuelles
pour les Français et magazine Stern pour les Allemands.
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