Journal du Net > Management >  Gestion de l'innovation : Jean-Luc Diard (Salomon)
dossier
 
(juin 2004)

Jean-Luc Diard (Salomon)
"Il faut deux à trois ans pour lancer une vraie innovation"

Salomon est à l'origine de l'une des innovations les plus retentissantes des sports de neige : le ski parabolique. Rencontre avec le PDG d'une marque qui investit 4,5 % de son chiffre d'affaires dans la R&D.
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Jean-Luc Diard, le PDG de Salomon, porte un léger coupe-vent. Celui qui le protège aussi bien à -15 °C qu'à +20 °C, pendant les raids aventures. Il apprécie ce type d'équipement, avant-gardiste. Tout comme l'entreprise qu'il dirige, réputée particulièrement innovante. C'est notamment Salomon qui a développé les skis paraboliques. Une innovation qui a métamorphosé le marché du ski. En l'espace de deux ans, les skieurs, qu'ils soient débutants ou champions, ont appris que skis longs ne rimaient plus avec vitesse et style.

Depuis 1998, Salomon est détenu par le groupe allemand Adidas. La marque est présente sur un marché où, chaque année, plus de 4,5 millions de paires de skis et de chaussures sont vendues dans le monde, dont 450 000 en France. Ces équipements sont en moyenne renouvelés tous les huit à neuf ans, avec de fortes disparités selon les skieurs. Sur ce marché des sports d'hiver, Salomon s'affirme aujourd'hui comme leader. Mais, face aux risques de baisse de l'enneigement, la société se diversifie depuis vingt ans, avec des produits comme les chaussures de randonnée, le skate ou encore le surf des mers. En s'appuyant à chaque fois, ici encore, sur des innovations.

Repères

> Les chiffres-clés du groupe Adidas-Salomon <

Quel est le poids de la R&D chez Salomon ?
Jean-Luc Diard. Le métier de la conception, qui regroupe la R&D, le design et le marketing produit, représente 8 % de notre chiffre d'affaires. La R&D pure pèse, quant à elle, 4,5 % du CA. Nous déposons en moyenne 70 brevets par an. Il est difficile de protéger un ski, mais nous pouvons breveter la partie mécanique et l'assemblage des composants, comme l'interface entre le ski et la fixation ou les systèmes d'amortissement. Nous déposons aussi des modèles, leur esthétique et l'appellation des produits. Les fixations, les chaussures ou encore les roues de vélo sont plus facilement protégeables.

Comment est née l'idée du ski parabolique ?
Au milieu des années 80, un fabricant autrichien, Kneissl, a mis en vente la première génération de skis paraboliques, baptisés Ergo. L'idée était restée sans suite, avant d'être reprise par K2 au milieu des années 90. En 2000, Salomon a sorti une nouvelle génération de skis, non seulement paraboliques mais aussi courts. Ils permettent de tourner plus facilement et de faire du hors-piste. Nous avions observé que le surf des neiges permettait de faire des choses impossibles à ski, indépendamment du hors-piste. Ce qui a interpellé notre bureau d'étude. Dans le même temps, nous avons développé des petits skis aussi courts qu'une patinette. Des clubs les ont utilisés pour entraîner des jeunes pour améliorer leur équilibre. Ils ont constaté que ces skis offraient de nouvelles possibilités et se révélaient très stables. Nous avons donc élaboré des prototypes de skis paraboliques mesurant 1 m 68 de long, une vraie révolution.

Comment ce nouveau produit s'est-il généralisé ?
Nous avons fait tester les prototypes par le Ski club des Arcs. Les jeunes ont commencé à avoir de très bons résultats en compétition. Un entraîneur qui croyait au projet les a utilisés lors du Challenge des moniteurs. Il a fini la compétition dans les premiers. Ces nouveaux skis ont commencé à faire du bruit, mais les athlètes de haut niveau ont continué à penser qu'ils étaient destinés aux enfants. Florence Masnada a créé la surprise en les adoptant pour les championnats du monde en 1999. Ensuite, Mario Matt a été champion du monde en 2001 avec ces skis, ainsi que Anja Paerson. D'autres skieuses comme Christelle Saïoni et Janica Kostelic ont également eu de très bons résultats. La preuve de la performance était faite au plus haut niveau. Les athlètes ont alors révisé leur jugement. En un an, tout le monde a changé de matériel et de technique. L'engouement s'est propagé au grand public. Aujourd'hui, 80 % des skis mesurent entre 1m60 et 1m70 de long. Chez Salomon, nous avons arrêté de produire des skis longs.


Les révolutions passent par le grand public"

Cette innovation s'est également généralisée chez les autres fabricants…
Pendant un an, nous avons été seuls sur le marché. Puis nos concurrents ont développé des skis comparables à vitesse grand V. Nous avons gardé l'avantage pendant une autre année. Ils nous ont ensuite rattrapés.

La généralisation du ski parabolique était-elle dans votre intérêt ?
Dans certains cas, on peut en effet avoir intérêt à généraliser un produit. Dans le cas du ski parabolique, si nous avions pu le protéger, nous l'aurions fait ! Mais il est vrai que la généralisation d'un produit pousse à toujours progresser, ce qui est bénéfique pour le consommateur et l'entreprise.

Quelle voie empruntez-vous le plus souvent pour généraliser l'usage d'un produit ?
Deux voies peuvent permettre de propager une innovation dans le sport : le grand public ou la compétition. Le plus souvent, la diffusion commence par la compétition. Les résultats sportifs donnent une forte crédibilité auprès des distributeurs, qui conseillent ensuite les utilisateurs. Mais il ne faut pas être dépendant de cette voie. La compétition apporte des évolutions, le grand public des révolutions. Ce fût par exemple le cas de l'entrée arrière pour les chaussures de ski ou encore du grand tamis pour les raquettes de tennis, qui ont d'abord été adoptés par le consommateur.

Dans le cas du ski, la location est-elle un bon vecteur pour généraliser un produit ?
La location représente plus de la moitié des usages. Elle permet de démultiplier rapidement la connaissance d'un nouveau produit. Ce phénomène s'accélère avec le bouche-à-oreille.


Un prototype de skis courts...

... et un prototype de surf

A partir de quels constats réfléchissez-vous à de nouvelles idées ?
Nous cherchons tout ce qui permet au grand public de progresser sans effort, ni mental, ni physique. Quel problème les usagers rencontrent-ils ? Ce sont souvent des éléments très simples, mais qui permettent d'améliorer considérablement le produit. Il faut être certain que le produit apportera un vrai bénéfice. Pour cela, il faut s'attacher à ses qualités, sans se focaliser sur un petit défaut. Les obstacles peuvent presque toujours être levés.

Comment fonctionne votre centre de recherche ?
Les chercheurs de toutes les lignes de produits travaillent dans un Centre de design, un loft de 120m sur 120m, avec tout le matériel nécessaire. Les 750 personnes dédiées au développement des produits se stimulent entre elles. Nous avons également une équipe transversale. Le poste de directeur de la R&D n'existe pas : l'entreprise est organisée en business units par lignes de produits. Les innovations dans un domaine donnent des idées aux autres. Par exemple, nous avons développé un nouveau surf des mers grâce à des technologies du ski, du surf des neiges et du skate. Mais au-delà de ce travail en interne, nous avons toujours un œil tourné vers l'extérieur.


Observer la concurrence sans regard critique"

Comment intégrez-vous les idées de la concurrence ?
Le plus dur, c'est d'observer la concurrence sans regard critique. Dire "c'est nul" est le réflexe naturel d'une entreprise face à un produit concurrent. Il faut donc se forcer à prendre de la distance, ce qui demande une vigilance de tous les instants. Lorsqu'un concurrent sort un produit innovant, notre temps de réaction est de 18 mois, c'est-à-dire deux campagnes de vente. Si nous ne comprenons pas immédiatement l'importance d'une innovation, nous ne pourrons rien proposer avant trois saisons. Il faut rester humble, ce qui s'avère encore plus difficile lorsqu'on est reconnu pour sa capacité d'innovation. Paradoxalement, nous avons eu du mal à accepter la première génération de skis paraboliques. Nous travaillions à l'époque sur un ski polyvalent pour la piste et le hors-piste. Lorsque nous avons arrêté de dénigrer le parabolique, nous avons décidé de sauter une génération.

Comment faites-vous circuler les idées au sein de l'entreprise ?
Même si notre Centre de design rassemble des gens aux profils et aux nationalités variés, il reste confiné dans un environnement et ne saurait garder le monopole des idées. Nous nous efforçons d'écouter les distributeurs et les salariés de Salomon de tous les pays. Nous organisons pour cela des séminaires au cours desquels nous exposons des idées et nous étudions celles des autres. Par ailleurs, nous réunissons un comité stratégique composé de personnes de l'extérieur ayant un regard critique et de managers de Salomon. Nous établissons une photo de l'état d'avancement de nos projets par rapport à la concurrence. Chaque chercheur garde un certain attachement pour ce qu'il fait. Le comité peut recadrer les orientations. Lorsque le changement est plus marqué, la hiérarchie et des personnes extérieures influentes peuvent s'approprier le projet et ensuite le transmettre. Si nécessaire, nous bloquons le projet suffisamment tôt.

Vos sous-traitants vous apportent-ils des idées ?
Nous ne travaillons pas suffisamment avec eux. C'est plus facile dans le textile où nous nouons actuellement des partenariats. Pour les fixations par exemple, nous avons de nombreux sous-traitants pour chaque élément. Il est donc difficile de se coordonner pour avoir de nouvelles idées.


Le textile va connaître de grandes évolutions"

En tant que président, êtes-vous particulièrement sensible aux projets en cours ou à venir ?
Avant d'être président du directoire, j'ai développé de nouvelles activités, notamment aux Etats-Unis. Mon parcours me rend naturellement sensible à l'innovation. Je suis à l'aise avec les nouvelles stratégies ou les nouveaux concepts. Mais il m'est impossible de donner des idées sur tout, en permanence. Je cherche surtout à stimuler les chercheurs et, dans certains cas, à resserrer le champ d'investigation. Je choisis ou confirme des orientations. Mes équipes savent que je suis à l'écoute de tous leurs projets et que je suis conscient que, pour un projet réussi, beaucoup d'autres ont échoué.

En combien de temps pouvez-vous apporter un produit nouveau ?
Il faut compter deux à trois ans pour une vraie innovation. La pré-étude demande un an. Pendant cette période, on mûrit le projet et on cherche à en découvrir son potentiel, notamment en étirant certains paramètres. Ensuite, il faut gérer l'avant-projet, fabriquer des prototypes et commercialiser le produit. Le matériel ne cesse d'évoluer. Il est très difficile de détecter le moment où l'on passe un cap.

Quels sont vos outils de veille ?
Les salons nous permettent de disséquer chaque collection, d'étudier l'évolution du produit en termes de marketing, de coûts et de technologie. La presse spécialisée est aussi une bonne source d'information. Nous évaluons les produits des concurrents selon différents critères, comme l'attrait ou le confort. En amont, nous prenons connaissance des brevets dans des revues mensuelles. Cela nous permet de détecter des tendances, et éventuellement une innovation importante. Mais cela ne saurait remplacer l'écoute des consommateurs et des distributeurs.

Comment réagissez-vous face à la baisse de l'enneigement ?
Nous diversifions notre portefeuille de produits depuis vingt ans. Notre but est de figurer parmi les trois premiers pour chaque produit. Par ailleurs, pour attirer plus de skieurs, nous contribuons à des campagnes de communication comme "La montagne, ça vous gagne", aux côtés des distributeurs et des stations.

Ivan Gavriloff (Kaos)
3M : la machine à innover
Dyson : seul contre tous
James Dyson
MicroEgg : de l'idée au marché
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Quels seront les produits de demain ?
Les skis de la prochaine génération seront encore plus larges. Ils permettront de passer sur tous types de neiges, humide, dure ou poudreuse. Nous avons doublé le degré de polyvalence du produit. Dans le textile, de grandes évolutions sont également à attendre. Les gens ne savent pas s'habiller en fonction du sport pratiqué. Les équipements peuvent être deux fois plus légers.

Repères

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Parcours

Jean-Luc Diard, 46 ans, ESCP 81, est originaire de Tignes, moniteur de ski et, ancien membre de l'équipe de France de ski. Il a réalisé toute sa carrière chez Salomon. Entré en 1983 à la filiale autrichienne comme responsable marketing, il a ensuite occupé différentes positions au siège d'Annecy et aux Etats-Unis, comme responsable marketing et directeur de plusieurs projets. Il est à l'origine du lancement de nombreuses lignes de produits. Depuis 1998, année de la reprise de Salomon par Adidas, Jean-Luc Diard dirige Salomon, comme directeur général puis président du directoire.


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