Journal du Net > Management >  Conduite du changement : Christophe Faurie (Cabinet AWV)
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(mai 2004)

Christophe Faurie (Cabinet AWV)
"Repérer la clé qui entraînera tout le reste"

Une idée n'a aucune valeur si elle n'est pas suivie d'une mise en œuvre réussie. L'effet de levier permet de mobiliser les énergies nécessaires.
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Ne pas évoluer, c'est disparaître
Une démarche vitale
Cas n°1 : La fusion
Cas n°2 : L'offre produits
Cas n°3 : Le projet CRM
Cinq principes à respecter
A lire, à suivre

Détective, le consultant spécialiste en conduite du changement cherche le mécanisme caché et interroge les hommes-clés. Catalyseur, il entraîne ensuite l'entreprise dans un "sprint", tout en "laissant les clés de la maison au petit personnel". Le critère de réussite du projet de conduite du changement ? "Le bonheur des salariés !" Consultant au sein du cabinet AWV et professeur à Dauphine, Christophe Faurie explique la conduite du changement de manière très imagée et vivante. Il a développé sa propre méthode dans son livre "Conduite et mise en œuvre du changement : l'effet de levier" (voir notre sélection d'ouvrages).

Qu'est-ce que la conduite du changement ?
Christophe Faurie. Le changement est une notion très générale. On a besoin de changer quand on n'arrive plus à obtenir ce que l'on veut, soit parce que l'on veut quelque chose que l'on n'a pas l'habitude d'obtenir, soit parce que son environnement a évolué. Mais le changement n'est pas n'importe quelle évolution, c'est une évolution réussie. Dans une entreprise, on rencontre généralement un changement à la suite d'une décision d'un dirigeant. Par exemple, il décide de restructurer sa société, d'en racheter une autre, d'installer un progiciel de gestion...

Pourquoi parle-t-on autant aujourd'hui de la conduite du changement ?
Parce que les évolutions de l'entreprise sont devenues beaucoup plus difficiles depuis une vingtaine d'années. La belle organisation hiérarchique a disparu, les rôles se sont brouillés. Du coup, faire évoluer cet ensemble complexe est devenu extrêmement délicat, d'autant plus que les méthodes de pilotage n'ont pas changé. Les entreprises agissent comme un automobiliste qui n'arriverait pas à passer la troisième, mais continuerait quand même à appuyer sur l'accélérateur. La vie de l'employé, quel que soit son niveau hiérarchique, est par conséquent devenue difficile. Il est frappant de comparer le climat de travail prédominant 20 ou 30 ans auparavant avec celui que nous connaissons aujourd'hui. À l'époque, les gens portaient un regard confiant sur l'avenir. Aujourd'hui, ils se sentent mal dans leur peau, stressés. Il n'est pas faux de dire que les entreprises sont malheureuses.

Comment en est-on arrivé là ?
Après la guerre, il a fallu reconstruire. L'offre ne répondait pas à toute la demande. Dans les années 70-80, l'offre et la demande se trouvaient au même niveau. Ensuite, l'offre a dépassé la demande, marquant le début d'une concurrence accrue. Pour rester dans la course, les entreprises ont cherché des synergies et ont demandé à leurs salariés d'être polyvalents. Il a fallu travailler en équipe, et trouver son rythme. Dans le même temps, les façons de piloter l'entreprise sont restées inchangées. Les dirigeants sont persuadés que leurs idées seront des succès parce que ce sont de bonnes idées.

Et pourquoi ces bonnes idées échouent-elles ?
Les dirigeants oublient l'étape, pourtant primordiale, de la mise en œuvre de la décision. Par exemple, un projet d'ERP contient un volet "conduite du changement". Dans la pratique, si un patron cherche à faire des économies, il supprimera cette étape. Aujourd'hui, les entreprises essuient les plâtres des changements qui ont échoué.


On choisit de résoudre un sous-problème"

Vous avez écrit un livre "Conduite et mise en œuvre du changement : l'effet de levier". Quelle méthode proposez-vous ?
Ma méthode repose sur l'effet de levier. Tout système cherche à maintenir et défendre son statu quo. De la même manière, l'entreprise résiste. Les hommes qui y travaillent ont un comportement collectif stable dans le temps. Mais dans tout système réside un mécanisme caché. Le groupe peut évoluer avec une faible quantité d'énergie. Pour cela, il suffit de trouver la clé, qui ensuite entraînera tout le reste. Dans la même logique que le vaccin, si une entreprise n'arrive pas à se développer à cause de sa force de vente, il faut commencer par résoudre le problème pour une catégorie de produits. On choisit un sous-problème, on fixe des objectifs très ambitieux et on accompagne les salariés jusqu'à ce qu'ils réussissent. Lorsqu'une partie des commerciaux sera capable de vendre la catégorie de produits choisie, tous les commerciaux sauront en faire autant pour tous les produits. En s'appuyant sur la réussite d'une partie de l'équipe, on intègre un nouveau comportement qui entre dans les gènes de l'entreprise.

Comment faire avec les salariés qui ne changent jamais ?
Les "dinosaures" ne pourront jamais changer. Mais ils sont peu nombreux et, la plupart du temps, ils se mettent hors jeux. D'une manière générale, l'homme a une capacité d'adaptation extraordinaire. D'autre part, certains salariés résistent longtemps puis adhèrent au changement et entraînent tous les autres.

Le projet de conduite du changement doit-il forcément être mené par un consultant ?
La conduite du changement peut se gérer en interne. Ce qu'il faut, c'est un catalyseur, qu'il soit en interne ou en externe. Une armée de consultants peut être utile pour un projet d'ERP dans lequel on a besoin de spécialistes. Mais, pour provoquer le changement, une seule personne peut suffire. L'avantage d'intervenir seul comme je le fais, c'est que les gens se disent que le problème n'est pas si grave… Souvent, ils me prennent en pitié, ils ont l'impression que je fais partie des meubles, et se confient plus facilement.

Qu'est-ce qu'un changement réussi ?
Un changement est réussi lorsque les gens sont heureux.

Une restructuration peut-elle être heureuse ?
J'ai fait des restructurations terribles, en divisant par deux le nombre de personnes d'une entreprise. Mais j'ai remis cette entreprise sur les rails. Et, au final, tous les salariés, même ceux qui partaient, étaient bien dans leur peau.


Comme on mènerait une enquête criminelle"

Quelle doit-être la durée d'une conduite du changement ?
Un changement réussi doit être très rapide, et peu onéreux. Il faut commencer par une étape courte, de cinq à six semaines, un "sprint" vers des objectifs palpables. Il faut convaincre les salariés d'atteindre un résultat difficile dans le mois qui vient. En général, ils commencent par râler, puis ils trouvent la solution. Ensuite, on met en œuvre cette solution, ce qui dure entre six semaines et deux mois. Puis, on laisse l'entreprise se reposer, environ six mois. Après, les idées germent à nouveau, et c'est reparti pour un "sprint".

Faut-il solliciter la participation des salariés ?
Il faut effectivement faire participer tous les niveaux hiérarchiques. Mais pas n'importe qui. Il faut consulter des hommes-clés, qui sont en contact direct avec le problème, souvent trois à quatre niveaux sous le PDG. Ce sont des hommes-clés parce qu'ils ont une partie des clés du problème, soit parce qu'ils peuvent indiquer des pistes, soit parce qu'ils peuvent être les pilotes de l'organisation qui sortira du changement. Dans un cas de restructuration, c'est un syndicaliste qui m'a aidé. On consulte les individus comme on mènerait une enquête criminelle.

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  L'effet de levier

On parle beaucoup de la nécessité de l'engagement de la direction générale. Dans la pratique, cet engagement est-il réel ?
Malheureusement, on obtient assez rarement l'engagement de la direction générale. Beaucoup de patrons n'ont pas de vision. Ils ont des idées, prennent des décisions mais, au fond, ils n'y croient pas. Par exemple, un dirigeant affirme que l'entreprise doit s'orienter vers le client, mais lui-même ne sort jamais de son bureau. Heureusement, il est possible de s'en sortir sans le patron, en le mettant en recul et en étant habile.

Quelle est l'erreur à ne surtout pas commettre ?
Il ne faut pas croire que lorsqu'on prend une décision, on va être obéi. Beaucoup pensent qu'il suffit de décider pour être obéi. Et que tout échec ne peut qu'être le fait d'une mauvaise volonté. C'est ainsi que nous cherchons à faire faire leurs devoirs à nos enfants par la menace. Les entreprises n'échappent pas à la règle. L'entreprise est très compliquée. Elle est faite d'une multitude de petits détails et de petits réflexes communs qui constituent autant de freins au changement.

Ne pas évoluer, c'est disparaître
Une démarche vitale
Cas n°1 : La fusion
Cas n°2 : L'offre produits
Cas n°3 : Le projet CRM
Cinq principes à respecter
A lire, à suivre

Quels conseils donneriez-vous à des personnes menant un projet de changement ?
Il faut comprendre comment les hommes vont réagir, évaluer les moyens dont ils ont besoin et leur donner carte blanche pour agir. Tout en contrôlant habilement le processus, qui est en fait un apprentissage. Cela revient à laisser les clés de la maison au petit personnel. Ou encore à opter pour la conduite accompagnée. Il faut faire conduire son enfant, même si on n'a pas tellement confiance… C'est le meilleur moyen pour qu'il apprenne.

PARCOURS

Diplômé de l'Ecole centrale de Paris, de l'Insead (MBA) et de l'Université de Cambridge (M.Phil), il a été consultant (chef de service) à la direction de la stratégie de Dassault Systèmes, directeur marketing du groupe AIF, directeur de l'activité conseil du groupe MV2 et associé de GM2 Conseil. Il travaille actuellement au sein du cabinet AWV. Il enseigne en DESS et en MBA à l'Université Paris Dauphine.


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