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ECONOMIE
 
11/10/2006

"Il faut chercher des modes de régulation adaptés"

Dans un ouvrage consacré au nouveau visage du capitalisme, celui de la société "post-industrielle", Daniel Cohen met l'accent sur les ruptures qui ont bouleversé les conditions sociales et changé la physionomie des entreprises. Rencontre.
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Dans la société industrielle, les modes de production et de protection sociale sont liés entre eux. Mais cinq ruptures fondamentales ont fait évoluer le capitalisme vers un modèle que Daniel Cohen caractérise de société "post-industrielle" : les innovations technologiques, la révolution financière, les transformations des modes d'organisation du travail, l'individualisme contemporain et la mondialisation des échanges. Cinq ruptures qui ont bouleversé les conditions sociales au cours des trente dernières années et ont contribué au "grand démembrement de la firme industrielle".

Pensez-vous que cet ouvrage puisse être utile à des dirigeants d'entreprise ?
Daniel Cohen. Je l'espère ! J'ai eu des retours positifs d'amis dirigeants qui m'ont dit que le livre les avait aidés. Pour ma part, je pense que ce livre peut leur apporter deux choses. D'abord, il faut comprendre d'où l'on vient et où l'on va. Les jeunes dirigeants n'ont pas toujours clairement conscience de ce qu'était le monde il y a 15 ans. Il s'agit de donner du sens à la trajectoire actuelle pour leur permettre ensuite de mieux comprendre les difficultés que ressentent les gens à suivre ces évolutions.

Ensuite, cet ouvrage permet de prendre conscience de la solitude sociale qui existe et que l'on retrouve aussi chez les managers. La dissociation entre l'entreprise et le social conduit les patrons à adopter un double langage selon qu'ils s'adressent aux actionnaires, ceux qui dirigent, ou à ceux qui travaillent. Une dissociation croissante et dure à vivre qu'il est bon d'exprimer.

Parmi les cinq ruptures majeures que vous évoquez, il y a la prise de pouvoir de la bourse. Quelles en sont les conséquences sur les entreprises ?
L'irruption du pouvoir boursier a considérablement changé la donne. Mais on devrait plutôt parler de reprise de la bourse après une longue éclipse, celle du crash de 1929. Cette parenthèse prend fin dans les années 80. Avant, les entreprises essayaient de diminuer leur risque en possédant plusieurs activités complémentaires. En cas de déclin de l'une d'elles, une autre pouvait prendre le relais. Par exemple, une même entreprise pouvait fabriquer à la fois des maillots de bain et des parapluies.


La dissociation entre l'entreprise et le social conduit les patrons à adopter un double langage"

Aujourd'hui, ce type de diversification n'existe plus. On a cassé les conglomérats pour se recentrer vers le cœur d'activité. Les entreprises ne cherchent plus à se diversifier mais au contraire à se spécialiser sur un segment de niche. Ce sont maintenant les actionnaires qui limitent le risque en diversifiant leur portefeuille d'actions. Et cela n'aurait aucun sens pour un dirigeant de chercher à résister à ce courant car il se couperait de ses financements.

Même les grands groupes familiaux vont dans ce sens. On voit Pinault (PPR) sortir de la grande distribution pour se concentrer sur le luxe, Lagardère éprouve toutes les difficultés à gérer deux activités (l'armement et les médias)... Il est très difficile de convaincre la bourse avec deux stratégies parallèles car elle n'aime pas que les patrons empiètent sur son rôle de gestion des risques.

Pensez-vous que les arrêts maladie de plus en plus fréquents peuvent être un danger pour la productivité des entreprises, à l'instar de l'absentéisme généré par l'organisation scientifique du travail au début du 20ème siècle ?
C'est une analogie intéressante. Ford trouve à l'époque la réponse avec son fameux "five dollars day". Aujourd'hui, on fait face à un absentéisme d'un genre nouveau car la réalité du travail est très différente. A l'époque les gens se désintéressaient de leur travail, maintenant le problème réside plutôt dans l'usure. Les gens ne peuvent pas suivre le rythme qu'on leur demande. Ils ont l'impression d'être toujours fatigués. Les salariés ont alors parfois tendance à chercher dans la maladie la protection qu'ils ne trouvent plus dans leur entreprise.

Votre livre explique que notre société post-industrielle consacre la séparation de l'économique et du social. Considérez-vous cela comme dangereux ?
A lire
"Trois leçons sur la société post-industrielle" de Daniel Cohen (Seuil - 2006)

>>> Consulter les librairies
Si je dis oui cela laisse à penser que l'on peut faire autre chose. Or, on assiste à un ensemble de processus qui se conjuguent : la mondialisation, les nouvelles technologies mais aussi une nouvelle relation au travail, personne n'accepterait aujourd'hui la hiérarchie qui prévalait au siècle dernier. C'est une transformation profonde contre laquelle on ne peut pas aller. Par contre, il faut chercher des modes de régulation adaptés, tout comme on avait inventé la sécurité sociale et l'assurance chômage lors de la dernière révolution industrielle. Effectivement, si on ne met pas en place une régulation, le danger existe. Au milieu du 19ème siècle, le capitalisme a failli mourir du paupérisme de ses ouvriers. La société industrielle a été la solution à ce problème : l'industrie a pris en charge la société. Aujourd'hui, elle ne le fait plus.


Parcours

Daniel Cohen est professeur de sciences économiques à l'Ecole normale supérieure et à l'université Paris I (Panthéon-Sorbonne) et directeur du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap). Il est également membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier Ministre. Il a été désigné Economiste de l'année en 1997 pour "Richesse du Monde, pauvretés des nations", qui a reçu le prix du Livre d'Economie 2000.

 


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