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TRIBUNE
 
23/11/2005

Isabelle Mathieu (Avocat associée, Daem Partners)
Le harcèlement moral dans l'entreprise, une réalité juridique

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Le phénomène de harcèlement moral a été condamné, dès la fin des années 80, par les juges prud'homaux sur le fondement de la bonne foi dans l'exécution du contrat de travail et de l'obligation de protéger la santé des travailleurs (article L 230-2 du code du travail). C'est en 2002 que le législateur a protégé les salariés contre ce type d'atteinte, aujourd'hui sanctionné tant sur le plan civil que pénal.

Qui est le harcelé ? Qui est le harceleur ?
La loi n°2002-73 du 17 janvier 2002, intégrée à l'article L. 122-49 alinéa 1 du Code du travail, dispose "aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". La notion y est seulement indirectement définie par son objet ou ses effets.

La loi protége tout salarié, quel que soit son statut (CDD, CDI, contrat de professionnalisation…), y compris les salariés de prestataires, qui pourraient reprocher à leur employeur - qui se retournerait alors vers la société utilisatrice - de les contraindre à subir des agissements de harcèlement dans le cadre de leur travail. Le harcèlement peut émaner de toute personne, supérieur, collègue, subalterne...

Harceler, c'est aussi ne pas agir
La loi définit les actes de harcèlement de façon large.
Tout d'abord, elle n'interdit pas seulement d'agir (critiquer le travail du harcelé, l'insulter…) mais aussi de ne pas agir (ne pas parler au harcelé, l'ignorer, cesser de lui donner du travail…). Ces comportements par omission sont plus fréquents et risqués : n'est-il pas tentant d'éviter de confier du travail à un salarié qui travaille moins bien que les autres - travail qui serait de toute façon à refaire - et de ne pas lui adresser la parole de peur de lui faire des reproches que beaucoup assimilent à tort à du harcèlement ?


Il suffit que les agissements aient pour objet, ou pour effet de dégrader les conditions de travail"

Ensuite, la loi indique que ces agissements de harcèlement doivent être répétés, seul réel indice proposé par la définition légale, sans toutefois donner aucune indication à cet égard et sans fixer de durée minimale en deçà de laquelle aucun harcèlement ne pourrait être retenu. L'analyse des décisions de justice rendues confirme cependant le bon sens : la durée varie de quelques semaines à quelques mois selon la gravité des faits.

Par exemple, dans une affaire, un salarié, technicien de maintenance chargé de l'atelier de mécanique, reçoit en l'espace de six mois, deux lettres lui rappelant que ses attributions ne sont pas remplies normalement après douze années sans reproche. Après avoir engagé une procédure disciplinaire, sans lui donner suite, la société publie une annonce pour recruter responsable de maintenance visant, selon le salarié, à pourvoir à son remplacement. La Cour de cassation approuve les juges de la Cour d'appel qui ont considéré qu'il s'agissait d'une attitude répétitive constitutive de violences morales et psychologiques (cassation chambre sociale 2 janvier 2005 n°02-47.296). En revanche, un Conseil de prud'hommes a pu considérer qu'une seule mesure de rétrogradation constitue un agissement répétitif, le salarié étant obligé de regagner chaque jour son poste, mis au ban de la société et recevant des réponses condescendantes à des courriers courtois et bien fondés (CPH Paris, 8 décembre 2004).

Un délit, même sans intention et sans préjudice
Il suffit, en outre, que les agissements aient "pour objet", ou "pour effet" de "dégrader les conditions de travail" d'un salarié. Cette dégradation peut donc être l'objectif visé, sans que l'intention ne soit requise par la loi. Il suffit, en effet, que ces agissements (par action ou par omission) aient simplement provoqué cette dégradation. La définition légale permet donc de sanctionner des agissements qui ont dégradé les conditions de travail de la victime, même si le harcelant ne le souhaitait pas. Quant à la dégradation de travail provoquée, elle peut être matérielle (bureau insalubre, logiciels obsolètes, réduction de l'équipe…). Il convient alors de prouver des éléments concrets à l'encontre de l'employeur ou d'un collègue. Mais elle peut aussi être psychologique et relever du pur ressenti ("placardisation", humiliation…). La preuve est alors bien plus délicate à rapporter.


Le mode de preuve a été aménagé en faveur de la victime"

Il suffit enfin que cette dégradation des conditions de travail soit "susceptible de porter atteinte" aux droits et à la dignité du salarié. La notion de "droits" vise notamment ici le droit de bénéficier d'une procédure de licenciement régulière, le droit de percevoir une indemnité conventionnelle de licenciement, le droit de se voir octroyer un préavis en lieu et place d'une démission provoquée par une pression constante. Quant à la "dignité", la notion est plus vague, chacun la plaçant où son histoire personnelle le conduit. Ce peut être, par exemple, le fait d'altérer la santé physique ou mentale du salarié, de compromettre son avenir professionnel. Nul besoin de définir plus précisément ces termes, puisque la loi n'exige pas que la dégradation des conditions de travail ne génère un préjudice ! Le délit est donc non intentionnel, et sans préjudice requis.

Un mode de preuve favorable à la victime
Le salarié victime de harcèlement doit établir les agissements qu'il estime relever d'un harcèlement moral. Il appartiendra alors à l'employeur de démontrer que ceux-ci étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le mode de preuve a été aménagé en faveur de la victime.

Si les conditions légales sont remplies, le harcèlement est condamnable sur le plan civil, notamment devant les juridictions prud'homales. Le juge peut prononcer la nullité des sanctions prononcées - ce qui implique la réintégration du salarié en cas de licenciement - et condamner au versement de dommages et intérêts. Mais le harcèlement est aussi un délit pénal. Celui qui harcèle est passible de 15.000 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement.

Parcours

Isabelle Mathieu est titulaire d'une double maîtrise en droit des affaires et en droit privé ainsi que d'un DEA en droit social et syndical. Elle a six ans d'expérience au sein d'une Confédérations patronales et de directions des ressources humaines de grands groupes. Elle est avocat associée chez Deam Partners.


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