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CHRONIQUE
 
16/11/2005

La chronique de Gérard Pavy
Un dirigeant totémique... sinon rien

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A lire
Gérard Pavy est l'auteur de "Dirigeants/ salariés, les liaisons mensongères" (Editions d'organisation, 2004)
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Dans la plupart des entreprises et organisations, on se dit que nos décisions sont sous la tutelle de la rationalité. Mais c'est une rationalité de façade, un couvercle pudique recouvre le chaudron de nos passions en ébullition. Le "je pense donc je suis" se traduit par un "j'ai raison donc l'autre a tord" qu'il dissimule.

D'où la lancinante recherche du bon profil du dirigeant ou du leader (comme on dit), celui qui est capable de faire converger les passions vers un objectif partagé de performance. Une question délicate en effet se pose : et si le leader, agité par des passions par lui-même ignorées, renforçait voire déclenchait l'ébullition par ses dires et ses mouvements ? Ce qui se passe, plus souvent qu'on ne le croit, et pas seulement à propos... de propos ministériels tenus sur nos banlieues. Le déferlement de violence qui s'ensuit confirme, une fois de plus, qu'on n'emprunte pas impunément des mots du discours de l'autre.


Dans le cas du leader, la relation à l'objet, c'est la relation à l'entreprise qu'il dirige"

Comment y voir clair ? Pour comprendre quelqu'un dans son fonctionnement, il faut deux choses : la personne et un objet. Chacun, depuis l'enfance, court après un objet qui lui manque : un doudou, une forme arrondie, un regard, de l'argent, une voiture puissante, un bureau d'angle, un jardin ensoleillé, un prince charmant, bref un fantasme... Et ce qui est essentiel, c'est la relation de la personne à cet objet : son mode de jouissance.

Quatre modes de jouissance se dégagent auxquels correspondent quatre types de leader, A, B, C et D, si on se borne aux plus fréquents, ceux qui occupent la plus grande part de marché. Dans le cas du leader, la relation à l'objet, c'est la relation à l'entreprise qu'il dirige et à ses collaborateurs.

Contrairement à ce qu'on croit, jouir d'un objet n'est pas si simple.

Les leaders de type A et B se rejoignent sur un point : tous deux ont peur de jouir. Ils se séparent sur la façon d'éviter le problème. Le type A s'arrange pour toujours trouver l'objet insatisfaisant ; il rejette avec dégoût, le lendemain, ce qu'il a adoré la veille. Le type B sécurise son environnement en contenant les émotions derrière des barrières ; il se protège en mettant sa jouissance à distance et l'objet sous contrôle. Si on se rappelle que l'objet en question, c'est l'entreprise et les collaborateurs, on voit que ces derniers, dans les deux cas, ont de quoi se sentir... frustrés !

Le leader de type C règle la question à sa manière en se prenant lui-même pour objet. Autrement dit, le reste n'existe pas : c'est sympathique pour les collaborateurs ! On appelle cela une personnalité narcissique.


Le leader totémique crée la règle et l'applique à soi-même"

Le type D, c'est le pervers qui réduit l'objet à l'état... d'objet manipulable à volonté. Pour que ça marche, il faut que le pervers rencontre des personnes acceptant de se mettre dans la position adéquate, ce qui se rencontre plus souvent qu'on le croit : l'élément 'maso' qui sommeille en chacun d'entre nous est un bon client pour le pervers.

Bref, ces leaders nous plongent bien dans le chaudron des passions en ébullition.

Quel type de leader nous permettrait d'échapper à ce mauvais sort ? Et ce type de leader existe-t-il ? Essayons d'en esquisser le profil. Reprenons les fondamentaux : qu'est-ce que jouir ? Ce n'est pas seulement tirer bénéfice de la possession de quelque bien. C'est aussi l'entretenir, le réparer et investir pour le développer. Le leader recherché préserve la règle du jeu fondamentale qui est que chacun, à commencer par lui-même, investit dans le bien commun, les productions de l'entreprise. Nous l'appelons 'leader totémique' car il crée la règle et l'applique à soi-même.

Ce leader altruiste n'est-il qu'une naïve chimère ? Possible, mais le rêve est la voie du désir qui lui-même trace la voie de l'homme. Il ne reste plus qu'à rédiger une petite annonce de recrutement : "Entreprise, bien sous tout rapport, cherche leader totémique..."


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Parcours

Gérard Pavy, 51 ans, est consultant, sociologue, et psychanalyste. Il dirige Pavy Consulting, société de conseil et formation en management. Il est par ailleurs chargé de cours au sein du MBA HEC. Il est également l'auteur de "Dirigeants/ salariés, les liaisons mensongères" (Editions d'organisation, 2004 >>> Consulter les librairies) et de "La logique de l'informel" (Editions d'organisation, 2002). Avant de fonder Pavy Consulting, il a été vice-président d'Aon Management Consulting, directeur général de Celerant Consulting France et senior manager cherz Accenture. Gérard Pavy a collaboré pendant dix ans avec Michel Crozier.


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