05/10/2005
Alain
Etchegoyen (Commissaire au Plan) L'Etat ne s'intéresse
pas assez à la croissance de l'entreprise
Emploi, compétitivité,
délocalisations... le point sur la situation économique française
et les grands changements en cours.
Le Commissariat général du Plan ne planifie plus depuis 1993.
Il anticipe. L'ambition d'Alain Etchegoyen, commissaire au
Plan depuis 2003, consiste à soutenir "l'Etat
stratège" grâce à un travail de prospective.
Concrétement, cela signifie publier de nombreux rapports
sur des sujets aussi variés que la recherche, les métiers
de demain ou encore les médias.
Pensez-vous que la France décline
?
Alain Etchegoyen. Non. La France présente des points
forts, des régions ou départements bien positionnés. Nous
sommes en pointe dans de nombreux secteurs. Par exemple, nous
sommes leader mondial dans la sidérurgie, ce qui est remarquable
compte tenu de la situation en 1986. Nous sommes très performants
pour la création d'entreprises et nous comptons de grands
groupes internationaux. Mais il nous manque des entreprises
de taille intermédiaire. L'Etat ne s'intéresse pas assez à
la croissance de l'entreprise. Il faut que les créateurs d'entreprises
deviennent des employeurs.
Quelles principales difficultés
les entreprises rencontrent-elles aujourd'hui ?
L'Etat doit aider les entreprises dans leur croissance, par
exemple pour la création de nouvelles fonctions. Il intervient
très en amont, mais pas assez dans le développement. Quelques
chambres de commerce soutiennent les entreprises dans la création
de nouveaux départements, par exemple marketing ou ressources
humaines, en cofinançant les créations d'emplois. Il faudrait
généraliser ce type d'initiatives. Par ailleurs, dans les
travaux publics, l'hôtellerie et la restauration, des employeurs
rencontrent de grandes difficultés pour recruter. C'est une
question de mentalité : nous dévalorisons trop les travaux
non liés aux technologies.
Il faudrait pouvoir enchaîner
les CDD sans exposer de motifs mais avec une augmentation
de la prime de précarité"
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Pensez-vous qu'il faille réformer
le contrat de travail ?
Mon rôle n'est pas de me prononcer sur la politique actuelle.
Je constate cependant que l'Etat s'autorise lui-même ce qu'il
interdit aux entreprises, notamment la succession de plusieurs
CDD. Il faudrait pouvoir enchaîner les CDD sans exposer de motifs
mais avec une augmentation de la prime de précarité. Une telle
mesure assurerait un bon équilibre entre les besoins des employeurs
et la protection des salariés.
Comment peut-on lutter contre le
chômage ?
Le chômage est notamment lié aux méthodes de recrutement et
au manque de confiance en l'avenir. Les entreprises doivent
accepter de prendre des risques. Les discours actuels, très
sécuritaires, dévalorisent le risque. Le Medef doit faire un
travail pour transformer l'image des patrons et de l'entreprise.
Certains dirigeants donnent l'impression qu'ils prennent moins
de risque que les salariés. Ce n'est pas forcément le cas en
réalité, mais les conséquences de ce sentiment sont graves.
Il faut donner envie de travailler pour soi, par le leadership.
Par ailleurs, les employeurs cherchent à embaucher des salariés
immédiatement prêts à l'emploi. Dans d'autres pays, ils recrutent
les gens selon leur personnalité et les forment ensuite. Michelin
est une des rares entreprises françaises à recruter ainsi. Par
ailleurs, nous estimons que 6 % des emplois sont aujourd'hui
vulnérables du fait de la mondialisation.
La situation des salariés
dépendra surtout de leur capacité à se former"
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Quels seront les métiers de demain
?
Nous travaillons beaucoup sur ce sujet, indispensable pour la
formation. Dans le cadre de la loi Fillon, nous aidons les professionnels
à créer des observatoires de branche dans tous les secteurs.
Concernant les services à la personne, il faut raisonner en
termes d'organisation pour permettre la gestion d'une carrière.
Les grands opérateurs doivent donc intervenir. Ils sont très
réceptifs sur ces sujets.
La situation des salariés va-t-elle
s'améliorer ?
La démographie devrait entraîner mécaniquement une baisse du
chômage, même si elle interviendra moins vite que prévu. La
situation des salariés dépendra surtout de leur capacité à se
former tout au long de la vie. On leur impose des changements
très rapides. Plus on anticipera, plus les conditions seront
pour eux favorables.
Quelles nouvelles organisations
se dessinent-elles ?
La répartition entre vie privée et professionnelle se modifie.
Le télétravail se développe. Au sein de l'entreprise, l'organisation
se trouve un peu en retard par rapport aux nouvelles exigences
de management. L'organisation par grandes fonctions subsiste,
alors qu'il faudrait passer au management par projets et par
processus. On a rebaptisé certaines fonctions comme les ressources
humaines. On en voit apparaître de nouvelles comme la direction
fidélisation. Mais cela ne suffit pas. Il faut sortir d'une
organisation matricielle. Par ailleurs, nous avons dû externaliser
certaines fonctions pour créer un rapport sain de type client-fournisseur.
Cela n'a pas été nécessaire aux Etats-Unis. Nous sommes arrivés
à des paradoxes comme l'externalisation de l'audit interne chez
Usinor. L'externalisation pose très vite un problème d'identité.
Ce fut par exemple le cas dans l'industrie sucrière.
On constate aujourd'hui une crise
chez les cadres, qui se disent "fatigués", "déçus" ou encore
"démotivés". Comment peut-on redéfinir la relation entre l'entreprise
et les salariés ?
En France, on parle toujours de crise. Je ne pense pas que l'encadrement
vive une crise.
Le problème de la politique,
c'est la discordance des temps"
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Quelle place la mondialisation laisse-t-elle
à l'Etat ?
Les directives européennes et la décentralisation laissent moins
de place à l'Etat. Il joue cependant un rôle par la législation,
la fiscalité et les systèmes d'aides. Grâce à une politique
volontariste depuis 1983, la France est par exemple au même
niveau de création d'entreprises que les Etats-Unis.
A quoi sert le Plan ?
Le Plan ne sert plus à la planification depuis 1993. Jusqu'en
2003, il analysait le passé et préparait les réformes structurelles,
par exemple avec le rapport Charpin sur les retraites. Aujourd'hui,
il ne se penche plus sur le passé, mais il a pour mission d'apporter
une réflexion prospective sur le rôle de l'Etat et sur toutes
les questions où l'Etat joue un rôle. Le problème de la politique
aujourd'hui, c'est la discordance des temps : le temps électoral,
le temps médiatique et le long terme. Le rôle du Plan ne consiste
pas seulement à proposer des scénarios, mais à donner les conséquences
qu'entraînerait telle ou telle décision dans les quinze ans.
Est-il bien utilisé par le gouvernement ?
Nous avons relancé la machine en 2003. Depuis janvier, nous
publions de nombreux rapports. Il est trop tôt pour savoir s'ils
seront bien utilisés. Si ce n'est pas le cas, nous en serions
responsables, notre rôle étant de bien communiquer. Les premiers
rapports ont constitué de bons relais médiatiques. Nos propositions
sur le rôle de l'Etat dans la croissance de l'entreprise ont
été reprises dans la loi Dutreil. Sur la gestion de la fin de
vie, thème que nous avions abordé avant la canicule, nos propositions
ont aussi été suivies. Enfin, nos préconisations concernant
le taux d'actualisation de l'investissement public ont été respectées
par le gouvernement.
Parcours
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Diplômé
de l'ENS de la rue d'Ulm, d'une maîtrise sur la
thermodynamique sous la direction de Michel Serres et
d'une agrégation de philosophie, Alain Etchegoyen
a commencé sa carrière au CNRS. Il a ensuite
été chargé de mission au ministère
de la recherche et de la technologie puis au commissariat
général du plan. Il a aussi été
conseiller spécial de Claude Allègre, alors
ministre de l'éducation nationale. Il est professeur
de philosophie au lycée Louis Legrand (en classes
préparatoires) et au Lycée Galilée
à Gennevilliers. Il est conseiller d'entreprises,
de professions et de syndicats depuis 1986. L'essentiel
de son travail philosophique porte sur la responsabilité.
Il est commissaire au Plan depuis avril 2003. |
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