02/09/2005
Laurent Levesque (Conseil
supérieur de l'ordre des experts-comptables) Les normes IFRS privilégient la substance
sur l'apparence
Les
nouvelles normes comptables européennes doivent permettre de mieux comparer les
entreprises cotées. Dans la foulée, se prépare une grande réforme pour les PME.
Les normes
IFRS (International Financial Reporting Standards) sont
obligatoires pour les comptes consolidés des entreprises
cotées dès le 1er janvier 2005. Que vont-elles changer
? Les entreprises françaises seront-elles avantagées
ou pénalisées par ces nouvelles normes ? Les IFRS
vont-elles se généraliser ? Laurent Levesque, vice-président
du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables et associé
chez Constantin, fait le point sur les normes IFRS et les projets
de l'IASB,
l'International Accounting Standards Board.
Dans
quelle proportion les entreprises ont-elles adopté les normes IFRS ?
Laurent Levesque. La directive européenne laissait la possibilité
de rendre obligatoire les normes IFRS pour tous et pour tous les comptes, de les
rendre optionnelles ou de les interdire pour certains comptes. La France a choisi
une voie médiane : les normes IFRS sont obligatoires pour les comptes consolidés
de toutes les entreprises cotées à partir du 1er janvier 2005. Elles
devaient donc établir les comptes semestriels au 30 juin 2005 en IFRS.
Pour les entreprises non cotés, ces normes seront optionnelles pour leurs
comptes consolidés. Dans les deux cas, les comptes sociaux resteront dans
les normes actuelles, pour éviter une inégalité de traitement
devant l'impôt. Les groupes du CAC 40 ont d'ores et déjà donné
leurs résultats 2004 avec les anciennes normes et avec les IFRS. Et les
entreprises de taille moyenne ont souvent fourni des annexes relatives aux IFRS.
Les impacts de ces nouvelles normes sont-ils
positifs ou négatifs pour les entreprises françaises ?
Globalement, on observe une forte stabilité, et non le bouleversement auquel
on pouvait s'attendre. L'impact négatif le plus important devrait intervenir
sur les engagements sociaux liés aux retraites. De plus, dans certains
cas, des éléments déconsolidés seront reconsolidés,
ce qui alourdira les dettes. En revanche, des impacts positifs résulteront
d'une comptabilisation hors bilan des frais de recherche et développement.
Chaque entreprise présente ses spécificités. Il est donc
difficile de donner une tendance générale. Par exemple, PSA a perdu
en chiffre d'affaires à cause de la non comptabilisation des ventes avec
engagements de rachat. En revanche, le groupe a augmenté son chiffre d'affaires
grâce à la baisse des charges en R&D et à l'absence d'amortissement
des écarts d'acquisition.
Elles favorisent la comparabilité des comptes
dans le temps et dans l'espace"
| Sur quels grands principes se basent
les normes IFRS ? Avec les normes IFRS, on privilégie
la substance sur l'apparence. On s'intéresse aux conséquences comptables
au-delà de la réalité juridique. Il s'agit de normes d'information
financière plus que de normes comptables. Elles sont donc tournées
vers l'investisseur. Elles sont sensées traduire une réalité
économique. Par exemple, le leasing sera considéré comme
un achat. Les normes IFRS introduisent-elles
plus de subjectivité ?
Elles fixent un cadre mais laissent une certaine marge de manuvre
pour apprécier la réalité des opérations
par rapport aux apparences juridiques. Mais la part de subjectivité
est contrebalancée par la quantité d'informations destinées
aux investisseurs et aux analystes. Le risque de subjectivité
réside surtout dans l'évaluation qui requiert la mise
en application de méthodes financières, notamment pour
les goodwill (lire la définition).
Nous sommes encore en phase d'apprentissage, sous l'il vigilant
des experts
comptables, des commissaires aux comptes et des régulateurs.
D'après vous, l'adoption des normes IFRS représente-t-elle
un progrès ? C'est un progrès dans la mesure
où elles favorisent la comparabilité des comptes dans le temps et
dans l'espace, ce qui est essentiel pour des entreprises plongées dans
le contexte de la mondialisation. Elles sont assez proches des normes
japonaises et des normes américaines. Comment
ce passage aux IFRS est-il perçu par les entreprises ?
Les grandes entreprises l'ont vécu comme un exercice imposé un peu
lourd mais dont elles percevaient clairement les intérêts. En revanche,
les sociétés de taille moyenne l'ont perçu comme une contrainte
plus forte par manque de moyens.
Il va falloir se mobiliser pour le chantier IASB
PME" |
Quelles sont les évolutions à
venir ? Les IFRS vont continuer à évoluer.
Surtout, 2005 n'est pas seulement l'année du passage aux IFRS, c'est aussi
la convergence du plan comptable français [le référentiel applicable
aux comptes individuels de toutes les entreprises, ndlr] et des normes IAS
[International Accounting Standards, ndlr]. Les entreprises commencent
à prendre conscience de l'importance de cette évolution.
A terme, les IFRS seront-elles utilisées dans
les comptes sociaux ? C'est possible, mais il est encore
trop tôt pour répondre. Les enjeux fiscaux sont considérables.
Quels sont les projets de l'IASB ?
Le principal projet est la mise en place de normes pour les PME. Il faut pour
cela identifier les adaptations nécessaires aux normes IFRS. Le Conseil
national de la comptabilité a été saisi de la question. Le
calendrier de l'IASB prévoit l'application de ce référentiel
le 1er janvier 2008. Cela paraît ambitieux aux yeux de beaucoup. Ce n'est
pas certain que le législateur français décide de se l'approprier.
Il pourrait aussi y avoir une directive européenne. Quelle
est l'influence de la France à l'IASB ? Un Français,
Gilbert Gélard, est membre du bureau, un autre membre des "trusties"
[Bertrand Collomb, président du conseil dadministration de Lafarge, ndlr]. Nous
avons aussi des membres dans le comité d'interprétation. Le monde
anglo-saxon a une influence majeure. En France, les trois quarts des IFRS ne posent
pas beaucoup de problèmes. Quelques-unes ont défrayé la chronique,
notamment la norme sur la juste valeur qui a provoqué la fronde des banquiers.
C'est pour cela que la norme IAS
39 n'est que partiellement adoptée. On arrive donc à
se faire entendre, mais difficilement. L'IASB a parfois un côté rigide
et dogmatique. Dans le cas du chantier IASB PME, les experts comptables, les commissaires
aux comptes et les chefs d'entreprise français vont devoir se mobiliser
pour faire entendre la voix des PME. Certains pensent que l'IASB n'a pas à
se mêler de la comptabilité des PME. Mais celles-ci sont amenées
à se financer sur le marché mondial. Ce serait dommage de ne pas
leur proposer de référentiel adapté.
Parcours |
Diplômé
de l'Essec et de Sciences-Po Paris, Laurent Levesque est expert-comptable et commissaire
aux comptes. Il a débuté sa carrière en 1975 dans un grand cabinet international,
puis à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes en tant que directeur
du contrôle de qualité dans le cadre de l'accord CNCC/COB (1987-1990). Entré en
1990 chez Constantin associés, il est associé et membre du comité exécutif. Il
est également président de Constantin partenaires. Il est vice-président du Conseil
supérieur de l'ordre des experts-comptables où il préside la commission de droit
comptable, vice-président du Conseil régional de l'ordre des experts-comptables
de Paris Ile-de-France et membre du Conseil national de la comptabilité (président
du groupe de travail sur les fusions). |
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