06/07/2005
La
chronique de Gérard Pavy Vivement la révolte des
cadres...
A
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Gérard
Pavy est l'auteur de "Dirigeants/ salariés,
les liaisons mensongères" (Editions d'organisation,
2004)
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Bizarre, bizarre, ce silence assourdissant
des cadres ! Ils auraient pourtant bien des raisons d'intervenir
massivement pour peser sur les décisions tant au niveau de leur
entreprise qu'au niveau sociétal. Les cadres voient leurs poids
et leurs attributs se réduire alors que les rémunérations de
leurs patrons explosent. Bien que le leadership, tant au niveau
de l'entreprise qu'au niveau politique, soit défaillant, les
cadres fonctionnent comme des exécutants respectueux. Au total,
ils s'accommodent de la bourse et des marchés dont ils subissent
directement la pression et les effets pervers dans leur quotidien.
Le paradoxe est là : les cadres ont le pouvoir, un boulevard
s'ouvre devant eux puisque leurs dirigeants ne sont pas crédibles...
et regardent passer les trains comme s'ils préféraient pâtir
du système ! Sont-ils à ce point fatigués ou se sont-ils
convertis au bouddhisme contemplatif ?
Les cadres ont le pouvoir
Incroyable : ils échappent au principe posé par Michel Crozier
(lire son interview)
selon lequel la maîtrise d'une zone d'incertitude pertinente
donne le pouvoir ! Qu'est-ce qu'une zone d'incertitude ?
Quelque chose qui est précieux dans l'organisation parce que
rare. Pour l'éminent sociologue, la maîtrise de l'information,
la compétence, le statut hiérarchique, l'appartenance à un réseau
constituent les sésames du pouvoir les plus fréquents. Quelle
serait cette source de pouvoir à la fois partagée par les cadres
et ignorée d'eux ? La connaissance, la compétence dans
le métier, l'expertise, bien sûr, ressource clé dans notre monde
post-industriel hyper compétitif où l'innovation et la production
de produits et services à haute valeur ajoutée sont les facteurs
clés de la stratégie. Sous-estiment-ils leurs forces ou bien
avancent-ils à tâtons ? Analysons d'abord ces motifs légitimes
de mécontentement des cadres, puis essayons de comprendre leur
absence de réaction.
Des rémunérations faramineuses...
D'abord, le scandale des rémunérations. Depuis quelques temps,
une poignée (assez importante !) de dirigeants s'extraie du
peloton des cadres et creuse des écarts considérables en s'attribuant
des rémunérations faramineuses. En plus, le bilan du dirigeant
est souvent catastrophique ! Il y a quelque chose de pervers
dans la 'corporate gouvernance', pour paraphraser Hamlet. Et
personne ne s'insurge.
... combinée à une perte de légitimité...
La légitimité et la crédibilité des dirigeants dans les entreprises
ballottées est souvent en berne. Arrivés aux postes de commandement
à la suite d'aléas tumultueux, ils n'incarnent pas les valeurs
fondamentales de l'organisation qu'ils dirigent. Leur parcours
n'est pas suffisamment profond au sein de l'entreprise pour
être reconnus comme compétents par les forces vives en interne.
Il ne s'agit certes pas de généraliser abusivement et les dirigeants
compétents qui échappent à cette dégradation sauront s'identifier.
Là encore, du côté des cadres, personne ne bouge. A cela s'ajoute
un facteur aggravant.
et à une obsession du contrôle
Les dirigeants sont perçus comme des leaders d'autant moins
entraînants qu'ils épousent largement le modèle obsessionnel
de management. Quelle est l'obsession de l'obsessionnel ? Surtout
nier qu'il est porteur d'un désir. Il travaille par devoir.
Il est modeste. Il n'est que le fidèle serviteur de ses maîtres
: la bourse et les marchés financiers. Son langage de communication,
c'est des procédures, du reporting et des tableaux de bord.
Evidemment, s'il nie son désir, l'obsessionnel ne peut supporter
d'en voir le bout d'un (désir) chez les autres, ses collaborateurs,
qui sont priés de se conformer au même moule et de raboter tout
ce qui dépasse. Chacun se sent de plus en plus sous pression
par la mise en processus de l'organisation, le raccourcissement
des délais et les augmentations de productivité. Seuls ceux
qui contemplent le monde du haut de leur terrasse peuvent entonner
sans faiblir la litanie sur déclin de la valeur travail.
Les titres eux-mêmes de deux livres récents La France qui
tombe (Perrin) de Nicolas Baverez, historien et économiste,
et La peur économique des Français (Odile Jacob) de Jean-Paul
Betbèze, conseiller du président d'une grande banque française,
sont révélateurs, par leur pointe culpabilisatrice, du symptôme
obsessionnel d'une certaine élite.
Un désinvestissement des cadres
Face à cet environnement borné et désolant, les cadres, hérauts
du savoir, optent, prudemment, pour une posture de retrait.
Les sondages se suivent et se répètent : selon une récente étude
internationale du cabinet Towers Perrin plus de 60 % des
cadres se disent "en retrait". Deux tendances peuvent expliquer
ces résultats.
D'une part, dans ce monde incertain, il y a ceux qui craignent
pour leur poste, leur carrière. Sans doute. S'ils ne manifestent
pas dans la rue, ils choisissent une stratégie moins coûteuse
de désinvestissement et de repli sur leur pré carré en préservant
au mieux l'équilibre travail - famille.
D'autre part, il y a ceux qui, en osmose avec leurs dirigeants,
se laissent insensiblement gagner par l'endormissement obsessionnel.
Ils montrent par leur attachement conservateur aux "beaux
postes" et aux titres emphatiques qu'ils sont prêts à sacrifier
aux conventions sociales. Sans doute cherchent-ils à s'acheter
ainsi la paix avec leur belle-mère ! Au bout du compte, les
plus obsessionnels d'entre eux, pourtant défenseurs de la légalité,
restent aveugles comme des taupes à la perversion du système.
La voie royale : érotiser les relations
Comment faire évoluer positivement la situation ? Un chemin
sympathique, passant par une modification de la culture au sommet
des entreprises, se dessine.
Pour avancer il faudrait mettre un peu de vie dans les relations.
Les directeurs de communication ont du pain sur la planche car,
dans la logique obsessionnelle, chacun cherche, consciemment
ou non, à maîtriser l'autre dans l'entreprise pour atteindre
son objectif. Or, la posture de départ doit être inverse : il
faut faire son deuil de l'idée de réduire l'autre à un objet.
Bref, président, parlez-nous d'amour et pas de tableaux de bord !
Une première étape pour "érotiser" les relations consiste
à accepter la part de mystère irréductible que porte chacun
d'entre nous.
Des entreprises comme Pernod-Ricard
ont de la chance : elles disposent dans leur culture d'une
potion magique pour favoriser la convivialité. Cette potion
est composée de différents ingrédients dont une pratique profondément
ancrée de décentralisation favorisant la circulation de la
parole et la prise d'initiatives. Mais, comme toute potion,
elle conserve sa part de mystère !
Le réveil
On ne peut que constater qu'un très
faible nombre de dirigeants est prêt à goûter de cette potion
magique, alors que l'écart se creuse entre cadres et dirigeants.
Conclusion, si les cadres ne se bougent pas, il y a peu de chances
que le système évolue. Or, ils ont le pouvoir. Un jour, les
cadres, chercheurs ou opérationnels, détenteurs
de la matière grise, finiront sans doute par se réveiller
pour prendre toute leur place et inventer de nouveaux systèmes
de relations moins dépendants du diktat des marchés financiers.
Les précédentes chroniques de Gérard Pavy :
Les
dessous chics et psychiques du "non" à l'Europe
Influencer
les autres : fausses pistes et bons leviers
Sans
l'inconscient, l'entreprise n'avance pas
"Entreprises,
frustrez votre personnel, c'est pour son bien"
"Les
dirigeants sont des obsessionnels, les salariés des hystériques"
Parcours
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Gérard
Pavy, 51 ans, est consultant, sociologue, et psychanalyste.
Il dirige Pavy
Consulting, société de conseil et formation en management.
Il est par ailleurs chargé de cours au sein du MBA HEC.
Il est également l'auteur de "Dirigeants/
salariés, les liaisons mensongères" (Editions d'organisation,
2004 >>> Consulter
les librairies) et de "La logique de l'informel"
(Editions d'organisation, 2002). Avant de fonder Pavy
Consulting, il a été vice-président d'Aon
Management Consulting, directeur général de Celerant
Consulting France et senior manager cherz Accenture.
Gérard Pavy a collaboré pendant dix ans avec
Michel Crozier.
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