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INTERVIEW
 
22/06/2005

Francisco Van der Hoff (Max Havelaar)
On parle de développement durable à tort et à travers

Le pionnier du commerce équitable ne mâche pas ses mots sur la réalité de l'économie mondiale. Aucune ressource ne manque, c'est la distribution qui fait défaut.
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Promu au rang de chevalier de la légion d'honneur le 14 juin dernier par le président Jacques Chirac, le co-fondateur du label Max Havelaar, Francisco Van der Hoff, nous a accordé une interview, avant de poursuivre sa tournée de sensibilisation, via le Canada. C'est en 1988 aux Pays-Bas que le prêtre-ouvrier fonde l'association et le label Max Havelaar, du nom d'un héros de roman, forgé par Edouard Douwes Dekker en 1860, luttant contre un système commercial injuste qui accable 30 millions de Javanais, colonie néerlandaise à l'époque. Rencontre.

Vous êtes docteur en théologie et en économie politique... Comment expliquez-vous votre parcours ?
Francisco Van der Hoff. Oui, un étrange profil, n'est-ce pas ? J'ai tout d'abord obtenu un doctorat en théologie, puis cela m'a assez vite ennuyé. Je voulais être plus proche du terrain, de la réalité humaine, de l'action. Je me suis alors orienté vers l'économie politique et la sociologie rurale. Il me semblait nécessaire de sonder la réalité humaine grâce aux outils qu'ont pu me procurer l'économie par exemple avant même de pouvoir mener une quelconque réflexion théologique.

Max Havelaar vient de labelliser le coton cette année. Cela pourrait-il permettre, par exemple, de contrer les avancées du textile chinois ?
Nous venons en effet de nous engager dans le textile. Mais nous n'avons pas tous la même perception du marché mondial sur ce domaine. L'Europe est actuellement très sensible aux manifestations d'hyperproductivité des Chinois. Au Mexique, nous ne pensons pas pouvoir contrer l'expansion chinoise, ni même directement la concurrencer. Après tout, les Chinois font bien leur travail, et puis il nous faut aussi faire face au problème de la corruption au Mexique, qui est au moins tout aussi important. Bien sûr en Europe, vous êtes surpris des coûts de production chinois. Mais pourquoi les vêtements doivent être finalement vendus si chers ? Un pantalon produit pour deux dollars est vendu pour 40 ou 50 dollars.

D'où vient le problème alors ?
Pas véritablement de la production, mais plutôt de la revente puisque le prix gonfle de 300 à 400 %. Cela s'explique notamment par le fait que seulement 65 % des vêtements produits sont vendus alors que les 35 % restants sont tout simplement détruits. A cause de la mode, que l'on observe chaque été et chaque hiver, les entreprises du textile doivent produire de nouveaux modèles. En somme, un véritable désastre économique et environnemental.


La charité est un acte stupide."

Que pensez-vous de la multiplication des labels ?
Chez Max Havelaar, nous n'aimons pas les labels, mais l'industrie et les consommateurs en ont besoin. Les gens sont suspicieux et connaître l'origine du produit est très important pour eux. Certains labels ne sont que des outils de marketing. Heureusement, le label Max Havelaar est connu comme un label "commerce équitable", et non comme simple marque de café.

Néanmoins, le label du commerce équitable ne risque-t-il pas de souffrir d'un certain manque de lisibilité ?
En réalité, la plupart des études qui ont été réalisées sur le marché européen montrent que le label Max Havelaar est connu par environ la moitié des consommateurs français, et jusqu'à 80 % des consommateurs hollandais. Cela ne veut pas dire que tous les consommateurs qui connaissent le label vont acheter le produit. La reconnaissance du label est la principale tâche de Max Havelaar. Nous avons besoin d'un label qui puisse informer les gens sur telle ou telle stratégie, politique ou marketing.

Le commerce équitable peut-il être mis en place par des multinationales, ou bien est-il voué à rester le fait de petites structures ?
Les petites entreprises sont sûrement les plus adaptées et les plus capables pour mettre en place une production sur le mode du développement durable. Encore faut-il se mettre d'accord sur ce que l'on entend par durable. En Amérique du Sud, nous en sommes venus à définir très précisément la notion de durable et ce qu'elle revêt pour les producteurs : une agriculture biologique qui permet de maintenir la biodiversité et donc le respect de l'environnement, ainsi que qualité et prix équitables. Ce dernier garantit aux producteurs et à leur famille logement, nourriture et éducation. Au final, nous mettons en place une économie véritablement durable. Cette définition est vraiment importante, car aujourd'hui on a tendance à parler de développement durable pour tout et n'importe quoi, comme le font les grands groupes, sans véritablement avoir une idée précise de l'enjeu humain qu'il représente.

Justement, par rapport à cet enjeu humain, vous insistez souvent sur le fait que le commerce équitable s'oppose à l'idée même de charité...
Concrètement, la charité renvoie au geste simple qui consiste à donner à une main tendue : c'est un des actes les plus stupides qui puisse être fait, de la part du receveur comme du donateur. C'est l'expression même d'une société qui ne fonctionne pas correctement. Je possède, tu ne possèdes pas, et par cet échange je t'entretiens dans ta position de mendiant. C'est accepter la situation et favoriser l'immobilisme.


La rentabilité économique ne se traduit pas par la réduction des inégalités."

Comment alors concevez-vous la relation entre consommateur et producteur ?
Le système du commerce équitable est bien loin de cette charité. Le pilier sur lequel nous avons fondé notre mouvement est avant tout de permettre un choix. En effet le consommateur, en acceptant de payer son produit plus cher, peut faire le choix de permettre aux producteurs de s'en sortir, mais aussi de bénéficier d'un produit de meilleure qualité. Le développement durable, tel que nous l'entendons, vise à asseoir un rapport d'égalité.

S'engager dans le développement durable peut-il être une stratégie économiquement rentable au niveau concurrentiel mondial ?
La croissance économique qui guide le commerce mondial est peut-être la clef du problème. Si l'ensemble des richesses mondiales étaient divisées par le nombre d'habitants de cette planète, il y aurait alors pour chacun plus que nécessaire. Au moment où nous parlons, il faut être conscient que notre planète, telle qu'elle est exploitée, peut largement nourrir, habiller et loger l'ensemble de ses habitants. On voit donc bien que le problème n'est pas tellement un problème de croissance et d'accumulation, mais plutôt un problème de distribution.

Avez-vous des exemples précis en tête ?
Oui, des hommes politiques tels que Tony Blair et Jacques Chirac effacent les dettes internationales de 18 des pays les plus pauvres à hauteur de 40 milliards de dollars. Certes, c'est une action positive, mais ce ne sont pas les dettes de pays à pays, mais multilatérales. Le geste ressemble davantage à de la charité qu'à une véritable prise en compte d'une distribution équitable des richesses. Je ne pense pas que la rentabilité économique soit un facteur de réel développement mondial, mais je doute surtout qu'il puisse être un facteur de bonheur. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté aux Etats-Unis a crû de 40 % lors des dix dernières années. Pourtant, c'est une société dont on vante l'économie en croissance. Mais à quel coût ? C'est le même problème que nous vivons en Amérique du Sud, et le terrible problème qui touche dramatiquement l'Afrique. Je pourrais multiplier les exemples montrant que la rentabilité économique ne se traduit pas par la réduction des inégalités, mais vise au contraire à les alourdir.


Une prise de conscience inimaginable il y a quelques années."

Vous restez pourtant optimiste quant à l'avenir du développement durable...
Oui. Lentement mais sûrement, une partie importante de la population mondiale prend conscience des enjeux qui nous concernent tous et de la nécessité de changer les règles du jeu, les mécanismes du commerce international. Et les pouvoirs publics ne peuvent rester sourds à cette évolution. D'ailleurs, le fait d'avoir reçu une reconnaissance symbolique avec la Légion d'honneur en France montre comment les choses évoluent.

L'enjeu n'est-il pas uniquement médiatique pour certains ?
Je ne suis certes pas dupe et je comprends que ceci puisse faire l'objet d'une récupération médiatique, politique et économique. Lorsque le président de Carrefour, vient me faire part de son intérêt pour le développement durable, c'est un stratège de la politique du maquillage. Je sais qu'il se sert de son exposition médiatique à mes côtés pour légitimer par ailleurs des actions commerciales qui vont tout à fait à contre-courant des logiques du développement durable. Mais je me rappelle qu'une telle prise de conscience aurait été inimaginable pour beaucoup il y a encore quelques années, lorsque nous passions pour une bande d'utopistes. Si ces personnes font ce pas, c'est bien parce que les choses bougent et qu'ils doivent répondre à une certaine demande sociale. Peu à peu les mentalités évoluent, et si on ne peut pas demander au commerce équitable de s'imposer du jour au lendemain, son avenir est gigantesque.

Vous êtes critique face aux distributeurs, mais ils participent à l'expansion du commerce équitable, non ?
Si notre café s'est peu à peu imposé, il est également vrai que des entreprises comme Starbucks ont su s'adapter à notre émergence. Starbucks s'approvisionne à hauteur de 5 % en café issu du commerce équitable et nous paie raisonnablement bien. S'ils le font, c'est non seulement parce que le café est maintenant devenu l'emblème historique de la lutte pour le commerce équitable, mais c'est aussi une question de qualité.

En savoir +

Vous associez commerce équitable et qualité...
Il se trouve qu'il y a une corrélation évidente entre la qualité du café et le niveau de revenu des producteurs. Si les consommateurs ne sont pas forcément séduits par la finalité du produit, ils peuvent au moins l'être par sa qualité. Et puis, je ne pense pas qu'il n'y ait qu'une part restreinte des consommateurs qui puissent être qualifiés "d'éthiques". La question du développement durable n'est plus aujourd'hui le registre réservé de quelques initiés.

Vous-même, buvez-vous du café Max Havelaar ?
Je ne vous surprendrai pas en répondant affirmativement. Cependant, je n'en bois lorsqu'il y en a. J'espère donc pouvoir en boire de plus en plus souvent...

Parcours

Originaire des Pays-Bas, Francisco Van der Hoff, vit depuis une trentaine d'années au Mexique, parmi les petits producteurs du café de la région de l'Istmo. A 65 ans, ce docteur en théologie et en économie politique est à l'origine d'une initiative ambitieuse : ouvrir les portes des circuits de distribution classiques à un commerce respectueux des droits sociaux des producteurs les plus humbles et de leur environnement. L'association Max Havelaar et le label du commerce équitable naissent en 1988 aux Pays-Bas. Auteur du livre Nous ferons un monde équitable (Flammarion, 2005), Francisco Van der Hoff se fonde sur son expérience sur le terrain pour décrire les grands principes du commerce équitable.


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