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INTERVIEW
22/06/2005
Francisco Van der
Hoff (Max Havelaar)
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Vous
êtes docteur en théologie et en économie politique... Comment
expliquez-vous votre parcours ?
Francisco Van der
Hoff. Oui, un étrange profil, n'est-ce pas ? J'ai tout d'abord
obtenu un doctorat en théologie, puis cela m'a assez vite ennuyé.
Je voulais être plus proche du terrain, de la réalité humaine,
de l'action. Je me suis alors orienté vers l'économie politique
et la sociologie rurale. Il me semblait nécessaire de sonder la réalité
humaine grâce aux outils qu'ont pu me procurer l'économie par exemple
avant même de pouvoir mener une quelconque réflexion théologique.
Max Havelaar vient de labelliser le coton
cette année. Cela pourrait-il permettre, par exemple, de contrer les avancées
du textile chinois ?
Nous venons en effet de nous engager
dans le textile. Mais nous n'avons pas tous la même perception du marché
mondial sur ce domaine. L'Europe est actuellement très sensible aux manifestations
d'hyperproductivité des Chinois. Au Mexique, nous ne pensons pas pouvoir
contrer l'expansion chinoise, ni même directement la concurrencer. Après
tout, les Chinois font bien leur travail, et puis il nous faut aussi faire face
au problème de la corruption au Mexique, qui est au moins tout aussi important.
Bien sûr en Europe, vous êtes surpris des coûts de production
chinois. Mais pourquoi les vêtements doivent être finalement vendus
si chers ? Un pantalon produit pour deux dollars est vendu pour 40 ou 50
dollars.
D'où vient le problème
alors ?
Pas véritablement de la production, mais
plutôt de la revente puisque le prix gonfle de 300 à 400 %.
Cela s'explique notamment par le fait que seulement 65 % des vêtements
produits sont vendus alors que les 35 % restants sont tout simplement détruits.
A cause de la mode, que l'on observe chaque été et chaque hiver,
les entreprises du textile doivent produire de nouveaux modèles. En somme,
un véritable désastre économique et environnemental.
La charité est un acte stupide." |
Que
pensez-vous de la multiplication des labels ?
Chez
Max Havelaar, nous n'aimons pas les labels, mais l'industrie et les consommateurs
en ont besoin. Les gens sont suspicieux et connaître l'origine du produit
est très important pour eux. Certains labels ne sont que des outils de
marketing. Heureusement, le label Max Havelaar est connu comme un label "commerce
équitable", et non comme simple marque de café.
Néanmoins,
le label du commerce équitable ne risque-t-il pas de souffrir d'un certain
manque de lisibilité ?
En réalité,
la plupart des études qui ont été réalisées
sur le marché européen montrent que le label Max Havelaar est connu
par environ la moitié des consommateurs français, et jusqu'à
80 % des consommateurs hollandais. Cela ne veut pas dire que tous les consommateurs
qui connaissent le label vont acheter le produit. La reconnaissance du label est
la principale tâche de Max Havelaar. Nous avons besoin d'un label qui puisse
informer les gens sur telle ou telle stratégie, politique ou marketing.
Le commerce équitable peut-il être
mis en place par des multinationales, ou bien est-il voué à rester
le fait de petites structures ?
Les petites entreprises
sont sûrement les plus adaptées et les plus capables pour mettre
en place une production sur le mode du développement durable. Encore faut-il
se mettre d'accord sur ce que l'on entend par durable. En Amérique du Sud,
nous en sommes venus à définir très précisément
la notion de durable et ce qu'elle revêt pour les producteurs : une
agriculture biologique qui permet de maintenir la biodiversité et donc
le respect de l'environnement, ainsi que qualité et prix équitables.
Ce dernier garantit aux producteurs et à leur famille logement, nourriture
et éducation. Au final, nous mettons en place une économie véritablement
durable. Cette définition est vraiment importante, car aujourd'hui on a
tendance à parler de développement durable pour tout et n'importe
quoi, comme le font les grands groupes, sans véritablement avoir une idée
précise de l'enjeu humain qu'il représente.
Justement,
par rapport à cet enjeu humain, vous insistez souvent sur le fait que le
commerce équitable s'oppose à l'idée même de charité...
Concrètement, la charité
renvoie au geste simple qui consiste à donner à une main tendue
: c'est un des actes les plus stupides qui puisse être fait, de la part
du receveur comme du donateur. C'est l'expression même d'une société
qui ne fonctionne pas correctement. Je possède, tu ne possèdes pas,
et par cet échange je t'entretiens dans ta position de mendiant. C'est
accepter la situation et favoriser l'immobilisme.
La rentabilité économique ne se traduit pas par la réduction des inégalités." |
Comment alors concevez-vous
la relation entre consommateur et producteur ?
Le système
du commerce équitable est bien loin de cette charité. Le pilier
sur lequel nous avons fondé notre mouvement est avant tout de permettre
un choix. En effet le consommateur, en acceptant de payer son produit plus cher,
peut faire le choix de permettre aux producteurs de s'en sortir, mais aussi de
bénéficier d'un produit de meilleure qualité. Le développement
durable, tel que nous l'entendons, vise à asseoir un rapport d'égalité.
S'engager dans le développement durable peut-il
être une stratégie économiquement rentable au niveau concurrentiel
mondial ?
La croissance économique qui guide le
commerce mondial est peut-être la clef du problème. Si l'ensemble
des richesses mondiales étaient divisées par le nombre d'habitants
de cette planète, il y aurait alors pour chacun plus que nécessaire.
Au moment où nous parlons, il faut être conscient que notre planète,
telle qu'elle est exploitée, peut largement nourrir, habiller et loger
l'ensemble de ses habitants. On voit donc bien que le problème n'est pas
tellement un problème de croissance et d'accumulation, mais plutôt
un problème de distribution.
Avez-vous
des exemples précis en tête ?
Oui, des hommes politiques tels que Tony Blair et Jacques Chirac effacent
les dettes internationales de 18 des pays les plus pauvres à hauteur de
40 milliards de dollars. Certes, c'est une action positive, mais ce ne sont pas
les dettes de pays à pays, mais multilatérales. Le geste ressemble
davantage à de la charité qu'à une véritable prise
en compte d'une distribution équitable des richesses. Je ne pense pas que
la rentabilité économique soit un facteur de réel développement
mondial, mais je doute surtout qu'il puisse être un facteur de bonheur.
Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté aux Etats-Unis
a crû de 40 % lors des dix dernières années. Pourtant,
c'est une société dont on vante l'économie en croissance.
Mais à quel coût ? C'est le même problème que nous
vivons en Amérique du Sud, et le terrible problème qui touche dramatiquement
l'Afrique. Je pourrais multiplier les exemples montrant que la rentabilité
économique ne se traduit pas par la réduction des inégalités,
mais vise au contraire à les alourdir.
Une prise de conscience inimaginable il y a quelques années." |
Vous restez pourtant optimiste
quant à l'avenir du développement durable...
Oui. Lentement mais sûrement, une partie importante de la
population mondiale prend conscience des enjeux qui nous concernent tous et de
la nécessité de changer les règles du jeu, les mécanismes
du commerce international. Et les pouvoirs publics ne peuvent rester sourds à
cette évolution. D'ailleurs, le fait d'avoir reçu une reconnaissance
symbolique avec la Légion d'honneur en France montre comment les choses
évoluent.
L'enjeu n'est-il pas uniquement
médiatique pour certains ?
Je ne suis certes pas dupe et je comprends que ceci puisse faire l'objet d'une
récupération médiatique, politique et économique.
Lorsque le président de Carrefour, vient me faire part de son intérêt
pour le développement durable, c'est un stratège de la politique
du maquillage. Je sais qu'il se sert de son exposition médiatique à
mes côtés pour légitimer par ailleurs des actions commerciales
qui vont tout à fait à contre-courant des logiques du développement
durable. Mais je me rappelle qu'une telle prise de conscience aurait été
inimaginable pour beaucoup il y a encore quelques années, lorsque nous
passions pour une bande d'utopistes. Si ces personnes font ce pas, c'est bien
parce que les choses bougent et qu'ils doivent répondre à une certaine
demande sociale. Peu à peu les mentalités évoluent, et si
on ne peut pas demander au commerce équitable de s'imposer du jour au lendemain,
son avenir est gigantesque.
Vous
êtes critique face aux distributeurs, mais ils participent à l'expansion
du commerce équitable, non ?
Si notre café
s'est peu à peu imposé, il est également vrai que des entreprises
comme Starbucks ont su s'adapter à notre émergence. Starbucks s'approvisionne
à hauteur de 5 % en café issu du commerce équitable
et nous paie raisonnablement bien. S'ils le font, c'est non seulement parce que
le café est maintenant devenu l'emblème historique de la lutte pour
le commerce équitable, mais c'est aussi une question de qualité.
En
savoir + | ||
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Vous
associez commerce équitable et qualité...
Il
se trouve qu'il y a une corrélation évidente entre la qualité
du café et le niveau de revenu des producteurs. Si les consommateurs ne
sont pas forcément séduits par la finalité du produit, ils
peuvent au moins l'être par sa qualité. Et puis, je ne pense pas
qu'il n'y ait qu'une part restreinte des consommateurs qui puissent être
qualifiés "d'éthiques". La question du développement
durable n'est plus aujourd'hui le registre réservé de quelques initiés.
Vous-même, buvez-vous du café
Max Havelaar ?
Je ne vous surprendrai pas en répondant
affirmativement. Cependant, je n'en bois lorsqu'il y en a. J'espère donc
pouvoir en boire de plus en plus souvent...
Parcours |
Originaire des Pays-Bas, Francisco Van der Hoff, vit depuis une trentaine d'années au Mexique, parmi les petits producteurs du café de la région de l'Istmo. A 65 ans, ce docteur en théologie et en économie politique est à l'origine d'une initiative ambitieuse : ouvrir les portes des circuits de distribution classiques à un commerce respectueux des droits sociaux des producteurs les plus humbles et de leur environnement. L'association Max Havelaar et le label du commerce équitable naissent en 1988 aux Pays-Bas. Auteur du livre Nous ferons un monde équitable (Flammarion, 2005), Francisco Van der Hoff se fonde sur son expérience sur le terrain pour décrire les grands principes du commerce équitable. |
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