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TRIBUNE
11/05/2005
Par Sébastien
Point (IAE de Besançon)
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En cette période de la publication attendue des rapports annuels d'activité 2004, revenons sur le cru 2003. L'analyse des lettres des présidents aux actionnaires - en exergue du rapport annuel d'activité - constitue un grand révélateur du fonctionnement des entreprises. L'attention sur les mots utilisés offre au lecteur un décryptage inédit de ces documents. Si le rapport annuel d'activité 2003 - version française - est disponible via téléchargement sur Internet pour plus de 92% des entreprises du SBF120, seuls 97 "messages du président" peuvent être facilement recueillis. Au final, ces 97 documents ont fait l'objet d'un décryptage particulièrement attentif.
Si compter les mots peut paraître à première vue simpliste et réducteur, cet exercice scientifique offre finalement de nouvelles perspectives d'analyse. Les discours sont très révélateurs à la fois de l'état d'esprit des dirigeants et du stade de développement de l'entreprise.
Pas de format standard
Il n'existe pas de format standard des messages des présidents.
La grande majorité des patrons français propose un document
de moins de 1.000 mots (environ deux pages format A4). Les
documents les plus courts sont ceux des groupes JC Decaux,
Eiffage, GFI ou de Camaïeu, en contraste avec ceux dix fois
plus long de Danone ou de Atos. La longueur du document ne
doit cependant pas être considérée dans l'absolu : si le groupe
Danone a produit le document le plus fourni en 2004, le message
du Président était le plus court des entreprises du CAC 40
l'année d'avant.
Mais peut-on réellement parler de "lettre aux actionnaires" ? En effet, seules trois entreprises retiennent cette appellation (Business Objects, Essilor et Eurotunnel). Et seulement quinze autres messages s'adressent directement aux actionnaires / investisseurs (Mesdames, Messieurs, Chers actionnaires). En effet, la majorité n'inclut aucun titre spécifique en ouverture du discours, restant avant tout le "message du président".
Au commencement est le mot croissance
Révélateur de l'ambition des entreprises françaises, le mot
croissance fait partie des mots les plus récurrents,
présent dans plus de 9 documents sur 10, parfois utilisé avec
emphase (une quinzaine d'occurrences pour Altadis, Sanofi,
Zodiac et jusqu'à 34 fois chez Danone en quelques pages de
discours !). Suivent par ordre d'apparition les termes résultat(s),
marché(s), activité(s), stratégie ou chiffre d'affaires.
Plus généralement on retient la multiplicité de termes relatifs
à la performance des entreprises, tels que résultat(s),
performance, rentab/ilité/le(s) ou objectif(s).
Un vocabulaire particulièrement
auto-valorisant
Le message du président est un véritable outil de relations
publiques. Ce qui est bon ou fort est inéluctablement relié
aux résultats ou à la croissance du groupe. En multipliant
les conjonctions telles que en dépit de et surtout
malgré, les patrons soulignent leurs efforts, valorisent
leurs actions et insistent sur les conditions défavorables
de l'environnement.
"Malgré les départs, nous avons réussi à préserver la cohésion
sociale de notre entreprise, à conserver le dynamisme de ses
équipes." Alcatel
"Nous avons réussi à maintenir une croissance à deux chiffres
de nos résultats malgré la dépréciation rapide de nombre de
devises." Aventis
"Malgré un contexte économique difficile, les résultats de
l'exercice 2003 d'EADS ont, une nouvelle fois, dépassé les
objectifs fixés." EADS
Pour les verbes, les patrons français valorisent l'action de leur entreprise avec renforcer, développer, améliorer, réaliser, atteindre L'esprit de conquête et de croissance règne.
Les salariés bien derrière les
clients et les actionnaires
Le mot clients apparaît plus de 200 fois, talonné
par les actionnaires, mais loin devant les autres parties
prenantes de l'entreprise (salariés, concurrents et
fournisseurs). Dans une logique de valorisation des
acteurs, le mot salarié n'est finalement que très peu
évoqué au profit des termes collaborateurs ou même
équipes. Avec plus d'une centaine d'occurrences pour l'ensemble
du SBF 120, ce dernier apparaît comme le mot à la mode ces
dernières années.
A noter l'utilisation maladroite de l'anglicisme employés dans quelques messages des présidents (Accor, Eurodisney, Gemplus, Neopost). Rappelons que celui-ci désigne, en français, une catégorie de salariés et ne peut donc pas se substituer au terme plus général de salarié. Les exemples ci-dessous s'avèrent-ils être des maladresses ?
"Bien-être à la carte, réconciliant satisfaction des employés
et productivité des entreprises
95% des employés de Accor
placent la satisfaction des clients au premier rang." Accor
"Ma première priorité a été d'écouter tous les employés de
notre société pour développer une stratégie de croissance
le succès des "summer camps" témoigne de la mobilisation
de nos équipes et du dévouement de nos employés
avec 12.200
employés de 103 nationalités différentes." Eurodisney
"Les importants progrès accomplis en 2003 n'auraient pu être
réalisés sans le soutien, l'implication et le dévouement des
employés de Gemplus." Gemplus
"C'est une performance remarquable dont les employés de Néopost
peuvent être fiers." Néopost
"La confiance soutenue de ses actionnaires et de ses clients,
l'engagement professionnel de ses employés et de ses dirigeants
à travers le monde." Saint-Gobain
Le "nous", vecteur d'enthousiasme
et de mobilisation
Dans les messages des présidents, l'utilisation du je
et du nous ne revêt pas la même portée. Presque la
totalité des messages analysés utilisent le nous, illustrant
un discours qui se veut prioritairement rassembleur et mobilisateur.
En revanche, une utilisation intensive du nous tend
à diluer l'énonciateur (le patron) dans son entité (l'entreprise).
L'utilisation du nous induit presque toujours un discours
très positif. En revanche, seule la moitié des documents utilise
la première personne du singulier. Il s'agit alors de se positionner
en tant que représentant du groupe. Ceci apparaît lorsque
le dirigeant s'engage personnellement sur ses propos (affirmant
ses opinions). L'emploi du je traduit le souhait du
dirigeant de se positionner comme le moteur principal d'un
projet.
Des absences remarquées
Le lecteur s'interrogera également sur des absences - volontaires
ou fortuites. On s'étonnera que moins du quart n'évoque pas
les termes dividende(s) ou création de valeur.
Mais c'est probablement sur l'aspect des ressources humaines
que les messages sont encore les plus discrets. Les termes
de compétence(s), savoir-faire ou même talent(s)
sont quasiment occultés. A noter aussi la rareté des termes
gouvernance, flexibilité ou même de développement
durable qui demeure néanmoins d'actualité dans tout agenda
du gestionnaire.
Parcours
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Sébastien Point est maître de conférences en sciences de gestion à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de Besançon. Depuis une dizaine d'années, il effectue un décryptage systématique des rapports annuels d'activité, et particulièrement de la lettre présidentielle et du volet social publiés dans ces documents. Il s'intéresse également à la rémunération des dirigeants et à la gestion de la diversité, sur la manière dont ces thématiques apparaissent dans les rapports d'activité et les sites Internet des entreprises. |
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