Journal du Net > Management >  Plus haut, plus vite, plus fort : mais pourquoi donc ?
Expert
 
09/03/2005

Par Samuel Douette (CJD)
Plus haut, plus vite, plus fort : mais pourquoi donc ?

  Envoyer Imprimer  

Site
  CJD

Formidable moteur d'intégration sociale et de création de richesse, l'entreprise et le sport ont fait de la compétition un moteur pour la performance. Pour autant, en pleine crise d'identité et de perte de repère, le modèle s'étiole.

Sport et entreprise, qui utilisent souvent des registres de valeurs (esprit d'équipe, capacité à atteindre ses objectifs, volonté de se surpasser, etc.) et des outils de motivation similaires (l'excellence, la réussite individuelle et sa valorisation, l'argent, la gloire, etc.), s'interrogent sur ces modèles. Au-delà des mots, des discours marketing ou managériaux, les actes et les comportements au service de cette "performance" manquent souvent de cohérence.

Mais de quoi parlons-nous ?
Quel chef d'entreprise, quelle revue de management n'a pas un jour témoigné de "la démotivation des salariés, la perte de repères, la place démesurée de l'économie, du tout financier, de la tyrannie du court terme" ? De la même manière, tout le monde s'accorde à dire qu'il faut protéger l'environnement, respecter les ressources naturelles, mais le constat est amer quant à la réalité des situations. Concernant la démotivation, la réponse s'attache souvent aux 35 heures, aux charges, à l'Etat, ou encore la concurrence internationale. Une situation "de fait" sur laquelle nous avons également peu d'influence.

L'entreprise (ou un certain nombre d'entre elles, ne généralisons pas) a fait de la création de richesses sa raison d'être, sans qu'on s'entende sur une définition de la richesse. Ou plutôt si : une "société riche" est une société dont le PNB est élevé, dont les échanges marchands sont considérables, même si les écarts de revenus sont importants et que l'injustice sociale touche de plus en plus de monde.


Le sport continu de faire rêver, mais à quel prix"


Dans le sport, le malaise est également perceptible. Selon l'esprit de la "pithie"(1), et plus tard de Pierre de Coubertin, les Jeux Olympiques devaient rassembler les peuples. Il s'agissait alors de mettre l'Olympisme au service de l'amélioration de l'Etre humain. Au-delà du rêve et de la médaille, on constate aujourd'hui que le sport de haut niveau c'est "la souffrance de beaucoup, l'échec de la plupart et une inévitable dérive du dopage" (2). On parle de podium sans parler des usines à champion, de la taylorisation du sport de haut niveau ou des scandales financiers. La santé des athlètes n'est une priorité que pour gagner, sans se soucier des conséquences de certains "régimes" à long terme. Le sport continu de faire rêver, surtout les jeunes, mais à quel prix et parfois avec quelle hypocrisie.

On le voit, dans le sport comme dans l'entreprise, la dictature de la compétition a pris le pouvoir. Elle est devenue une finalité et non plus un moyen au service d'un but. La victoire se fait à n'importe quel prix. En cela, sport et entreprise sont très proches, avec un problème commun : quel est le sens de la performance ?

Un nécessaire changement de mentalité et de pratique
Pour l'entreprise, cette dictature de la compétition pause de multiples questions. Comment attirer les talents, les faire rester, demander à ses collaborateurs un engagement total, si en parallèle de résultats exceptionnels, l'entreprise licencie, délocalise, n'offre pas de parcours professionnels, ou fait évoluer ses collaborateurs dans un environnement d'une telle pression qu'ils en perdent de vue une vision à long terme de la stratégie. La réponse est peut-être à trouver dans les propos de Loïc Leferme, multiple champion du monde d'apnée "no limit" qui descend à moins 171 mètres sous l'eau. Selon ses propres termes, ce record se fait grâce à "une équipe qui partage cette aventure avec moi. Elle construit sa propre aventure, même si je suis seul au fond. L'exploit est ailleurs que dans ma performance individuelle".


Une vision unique qui montre rapidement ses limites"


Face au culte de la compétition, l'opinion publique, les médias, le spectateur comme le salarié, le responsable sportif comme l'actionnaire sont (de plus en plus) las d'une vision unique qui montre rapidement ses limites ; vision dangereuse voire coûteuse. Car aujourd'hui dans le "prêt à penser économique", le capitalisme peine à se réformer. En réaction, de nouveaux acteurs comme les "décroissants" veulent sortir du tout consommation. Les réformistes veulent, quant à eux, perfectionner le capitalisme pour l'humaniser, Amartya Sen, Prix Nobel d'économie 1998 (et philosophe) en tête.

Toujours sur le front des réactions, on écoute, voire on entend, le discours du CJD (3). Pour Sylvain Breuzard, ancien président national, "la maximisation du profit et l'obsession du court terme démontrent aujourd'hui toute leur nuisance. Il est possible de développer une entreprise et de concilier les intérêts aussi contradictoires que ceux des actionnaires, des salariés et du respect de l'environnement, c'est ce qu'on appelle la performance globale". Même analyse pour Edgar Grospiron, champion de ski au palmarès inégalé et ancien chef d'entreprise. Selon lui, "la performance sportive, c'est comme dans une boîte, elle passe par l'humain". A chacun donc sa performance. Elle devient au service de tous, ou du projet sur lequel on travaille quand chacun y trouve sa place, son intérêt.

De l'importance d'être cohérent
Il est également nécessaire de constater que l'entreprise et le sport se côtoient sur le plan de la communication. Quand une entreprise fait le choix d'associer l'image du sport à sa communication, elle le fait ainsi par stratégie. Mais elle se doit d'être cohérente entre son discours, l'image qu'elle tente de donner d'elle-même et ses pratiques. La BNP partenaire officiel de Roland Garros, ou Castorama partenaire du monocoque d'Arnaud Riou dans le Vendée Globe, travaillent leur notoriété. Le grand public, donc les clients que nous sommes, associe l'image de ces sports aux valeurs qu'ils véhiculent : la combativité, l'excellence, le challenge à relever, la nature, etc.


Mettre en phase discours et pratiques"


Il est normal pour Adidas ou Nike d'être sponsors officiels de la Coupe du monde de football. En revanche, si ces produits sont fabriqués par des enfants en Asie du Sud Est, le consommateur sanctionne : ces pratiques managériales ne sont pas en phase avec l'image que ces entreprises donnent de leur marque.

Les entreprises doivent donc mettre en phase leurs discours et leurs pratiques. De la même manière, le sport (de l'entraîneur au sportif en passant par les responsables de fédération mais aussi le spectateur) devra adapter ses pratiques et respecter les valeurs qu'il est densé véhiculer. Quand Bertrand Picard, aéronaute, boucle en 2001 le premier tour du monde en ballon, il accomplit l'une des grandes prouesses technologique et humaine du XXIè siècle. Et quand il déclare que "la performance n'a de sens que dans l'engagement " et qu'il crée la fondation Winds of Hope, il donne du sens à son action.

En savoir +

Porter une vision plus lointaine que le simple fait d'atteindre un objectif demande, on le voit, de l'engagement. Il est de la responsabilité de chacun de s'en saisir. Le sens de la performance, c'est être en phase entre ses pratiques et l'image que l'on souhaite donner de soi-même. C'est penser long terme et collectif, et respecter l'autre, dans l'entreprise comme dans le sport.

1) La pythie est l'esprit de la cité, des créateurs de l'Olympisme
2) Albert Jacquart, Halte aux jeux
3) Le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise est un mouvement patronal créé en 1938 pour développer "une économie au service de l'homme". Le CJD rassemble 2.500 adhérents.

Parcours

Samuel Douette a suivi une double formation, à la fois une Ecole de commerce, en troisième cycle en gestion de projet, et une licence d'ethonologie. Depuis 1999, il est attaché de direction au CJD, le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise, où il est notamment en charge du pôle "Expérimentation et Innovation". Auparavant il était consultant au sein du cabinet Algoé Management, intégré au département Organisation et Stratégie. Samuel Douette a réalisé de multiples expéditions scientifiques et culturelles. Il est l'auteur de deux livres sur l'Afghanistan et la les Routes de la soie, et a réalisé plusieurs films dont un sur la performance sportive.


JDN Management Envoyer Imprimer Haut de page

Sondage

Penserez-vous à votre travail pendant les fêtes de fin d'année ?

Tous les sondages