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INTERVIEW
 
février 2005

Béatrice Hammer (Green.com)
L'erreur est de penser que l'intelligence est dans l'outil

Chercheur en sciences sociales, Béatrice Hammer s'est penchée sur les impacts des nouvelles technologies au sein des entreprises. Une réflexion devenue un roman.
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  Béatrice Hammer

Ils s'appellent Raoul Duval, Virginie Dumont, Marie Duplat, Froya Elgasen, Jean Ducreux ou encore Achille Rouget. Ils appartiennent tous à la nouvelle cellule Green.com. Lancée par le PDG du groupe GGG, cette cellule a pour objectif "l'optimisation toujours nouvelle de l'information et de la communication". Dans L'Edifiante histoire de Green.com, un ouvrage paru aux éditions A Contrario, Béatrice Hammer, chercheur en sciences sociales, raconte l'entreprise et ses problèmes de communication. Elle y soulève plusieurs questions essentielles, notamment sur l'impact des nouvelles technologies.

Ce livre s'inspire-t-il de votre expérience professionnelle ?
Béatrice Hammer. Quand on écrit de la fiction, on s'inspire toujours de ce que l'on connaît. Je me suis donc inspirée aussi bien de ma propre expérience que de celle d'amis qui travaillent dans de grandes entreprises, dans le public comme dans le privé. Plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs reconnu, dans le livre, certains aspects de leur environnement professionnel. Le stage de management auquel participe Raoul (Ndlr : le chef de la cellule Green.com), par exemple, bien qu'ayant été entièrement imaginé, a été jugé très crédible par bon nombre d'amis, et pas seulement par des personnes travaillant dans la même entreprise que moi.

Dans votre roman, beaucoup de salariés paraissent totalement inutiles. Cela résulte-t-il d'un constat sur le monde de l'entreprise ?
Il me semble qu'on ne peut pas affirmer que chaque minute passée à travailler est forcément utile. Mais on ne peut pas non plus dire que le travail de bon nombre de personnes ne sert à rien du tout. Le travail sert déjà, pour ceux qui le font, à leur permettre de s'intégrer dans la société, et c'est très important. Une fonction, quelle que soit son degré d'utilité directe, offre une identité professionnelle au salarié. Les gens ne travaillent pas uniquement pour récupérer leur fiche de paie à la fin du mois. Ils ont besoin de penser qu'ils sont utiles. Ils font donc la plupart du temps tout pour l'être. Du coup, il arrive souvent qu'ils soient amenés à trouver, à imaginer une manière de travailler différente de celle qui était prévue, et qui peut se révéler bien plus utile. Si l'on prend l'exemple de la cellule Green.com, qui réunit des gens placardisés autour d'objectifs tout à fait flous, on voit qu'ils cherchent, puis parviennent à donner un sens à leur travail. C'est une équipe très hétéroclite, constituée de personnes qui sont "sur la touche", et pourtant, elle finit par être très utile.


Des outils comme l'e-mail deviennent parfois très contraignants"

Cela montre aussi qu'une cellule complètement livrée à elle-même peut donner des résultats…
Dans le livre, je dénonce la bêtise de l'automatisation à outrance et de l'accumulation des contraintes sur les personnes. La cellule Red.com, concurrente de Green.com, va jusqu'à chercher à automatiser le travail de réflexion. Cela paraît absurde, mais cela reste pourtant le fantasme de nombreux ingénieurs. En restreignant les marges de manœuvres, on réduit l'efficacité. Au contraire, en laissant des marges de manœuvre, on favorise l'imagination. L'innovation ne passe pas seulement par la technologie. Cela commence par un peu de bon sens. Dans le cas de Green.com, la cellule cherche à améliorer la communication. Au lieu de créer de nouveaux outils, elle permet aux salariés de se rencontrer, tout simplement. Et ça marche.

Votre roman constitue aussi une critique des NTIC, les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Ces technologies ont ouvert des opportunités mais ont vite été institutionnalisées. Les informaticiens ont repris le pouvoir : ils remettent tout aux normes et créent souvent encore plus de rigidité. Des outils comme l'e-mail deviennent parfois très contraignants et contre-productifs. On est sensés lire tous nos e-mails et y répondre rapidement. C'est impossible, si bien que l'on finit par ne plus les consulter. L'erreur est de penser que l'intelligence est dans l'outil, et pas chez celui qui l'utilise.

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Vous évoquez à de nombreuses reprises le principe de la sélection naturelle dans l'entreprise. Pensez-vous qu'il soit valable ? Lui préférez-vous le principe de Peter ?
Cela dépend. Ces deux principes peuvent être valables, on ne peut pas généraliser. Mais je constate que certains se retrouvent à des postes qui ne leurs conviennent pas tout à fait. Le postulat, malheureusement courant quand on forme des managers, est qu'ils sont incapables de bien faire leur travail spontanément et qu'on doit les entraîner à appliquer des recettes me semble absurde. Il ne faut pas sous-estimer les capacités des gens. Ceci étant, je ne suis pas une spécialiste du management. Mon livre est un roman, pas un manuel de gestion.

Parcours
Diplômé de l'Ensae et d'un DESS de sociologie à Sciences-Po, Béatrice Hammer est chercheur en sciences sociales chez EDF. Elle est auteur des romans "Soleil glacé" (Le serpent à plumes, 1999), "Lou et Lilas" (Pétrelle, 2000) et Cannibale Blues (Pétrelle, 1999). Son premier roman, "La princesse japonaise", a été récompensé par le prix Goya en 1995. "L'édifiante histoire de Green.com" est paru en octobre 2004 aux éditions A contrario.
  
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