Journal du Net > Management >  François Soult : "La libéralisation des marchés n'a rien d'inéluctable"
INTERVIEW
 
janvier 2005

François Soult
La libéralisation des marchés n'a rien d'inéluctable

Haut fonctionnaire, auteur de "EDF, chronique d'un désastre inéluctable", François Soult tire le signal d'alarme sur la libéralisation du marché électrique européen.
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Référence
EDF, chronique d'un désastre inéluctable (Calmann-Lévy, 282 pages)
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Depuis la loi du 9 août 2004, EDF est devenue une SA, délaissant ainsi son statut d'Epic (Etablissement public à caractère industriel). Ce changement de donne lui donne la possibilité de vendre autre chose que de l'électricité, notamment du gaz. Il lui permet aussi d'ouvrir son capital, à condition que l'Etat conserve 70 % des parts. Dans cette optique, l'entrée en Bourse d'EDF devrait avoir lieu d'ici l'automne 2005.

Fort ce ce nouveau statut, Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, a présenté en décembre dernier les orientations stratégiques de l'entreprise pour les trois années à venir. Il estime les besoins de l'entreprise à 30 milliards d'euros sur la période 2005-2007 pour financer ses ambitions en France et en Europe. Il compte tirer 10 milliards d'euros de l'ouverture du capital, 10 milliards de cessions d'actifs et 10 autres milliards d'une augmentation du chiffre d'affaires (de 20 %) et des marges.

François Soult, un haut fonctionnaire anonyme qui a travaillé sur ce dossier, est l'auteur de "EDF, chronique d'un désastre inéluctable". Il y analyse cette mutation avec pessimisme.

A vos yeux, quelles sont les conséquences possibles du changement de statut d'EDF ?
François Soult. La loi adoptée le 9 août 2004 répond à deux objectifs principaux : permettre la mise sur le marché de l'entreprise et la banaliser. Il s'agit d'en faire une entreprise comme les autres, dans un secteur comme les autres. Cette évolution s'inscrit dans la lignée de la loi de libéralisation de février 2000, elle-même conséquence d'une directive européenne de 1996. Pour les agents, le changement de statut signifie des suppressions d'emplois. Pour le consommateur, l'ouverture du marché et celle du capital impliquent paradoxalement une augmentation des tarifs et une dégradation de la qualité. Le marché de l'électricité n'est pas adapté à l'offre et la demande. L'activité de vente de l'électricité n'est pas rentable. L'ouverture annoncée du capital implique de rémunérer des actionnaires privés et donc d'améliorer les résultats de l'entreprise. Pour cela, il faudra faire des économies, ce qui risque d'entraîner une dégradation de la qualité. Il faudra aussi augmenter le chiffre d'affaires, et donc les tarifs.

Si l'Etat conserve 70 % du capital, les conséquences seront-elles les mêmes ?
Même si l'Etat conserve 70 % du capital, tout cela aura lieu, si rien ne se passe par ailleurs. J'espère que de nouveaux modes de régulation viendront limiter ces effets. La Commission européenne pourrait très bien corriger le tir par une nouvelle directive. Je reste optimiste.


On peut également envisager des participations croisées"

Ine fine, l'ouverture du capital aura-t-elle lieu ?
EDF a de très mauvais résultats, ce qui rend difficile une entrée en Bourse. L'ouverture du capital nécessite des coupes franches, alors que Nicolas Sarkozy s'est engagé auprès des syndicats. Il faudra aussi augmenter les tarifs, alors qu'ils sont bloqués par le gouvernement. La mise sur le marché n'aura donc pas lieu à l'automne 2005, comme annoncé. L'Etat gardera une part importante du capital et cherchera à vendre des actions aux petits porteurs - qui se feront encore berner - et aux agents. On peut également envisager des participations croisées avec des producteurs d'électricité européens.

Selon vous, la privatisation est-elle inéluctable ?
Le seul moyen de la justifier consiste à la présenter comme inéluctable. C'était l'argument donné par mes collègues lorsque je travaillais sur ce dossier. Mais il est faux. La libéralisation des marchés n'a rien d'inéluctable. Il faut cesser ce discours idéologique.

EDF a-t-elle un rôle à jouer au niveau international ?
Pierre Gadonneix a annoncé une nouvelle stratégie qui me semble bonne. EDF n'a pas un rôle à jouer au niveau mondial car les marchés de l'électricité sont locaux. Cela n'a par exemple aucun sens d'être présent en Argentine. Il faut recadrer l'activité en Europe, plus particulièrement sur le marché réunissant la France, l'Autriche, l'Allemagne et le Benelux.

Parcours

Diplômé de l'ENA, François Soult a, de par ses responsabilités de haut fonctionnaire, eu des contacts multiples avec tous les acteurs du paysage énergétique français. Il a écrit "EDF : Chronique d'un désastre inéluctable" paru chez Calmann-Levy.


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