Luc
Loquen (Le mensonge dans l'entreprise)
"L'entreprise n'a qu'une vision
très partielle de la réalité"
Les tableaux
de bord en entreprise, parfois trop réducteurs, induisent
un décalage avec la réalité, une forme de mensonge.
Luc Loquen, auteur du "Mensonge dans
l'entreprise", analyse ce mal encore méconnu. (mars
2004)
A vouloir tout modéliser, à vouloir minimiser les
échanges directs entre salariés, l'entreprise court
un grand risque : ne plus percevoir sa réalité
structurelle, donc vivre dans une forme de mensonge. C'est ce que
Luc Loquen, consultant en management, dénonce dans son livre, Le
mensonge dans l'entreprise (Editions Privat).
Dans
votre livre vous parlez de "structures de mensonge". De quoi s'agit-il
au juste ? Quel est leur impact dans l'entreprise ?
Luc Loquen. Dans mon travail, je ne m'intéresse
pas aux comportements mais aux organisations. Or ces dernières créent
un phénomène qui est comparable au mensonge. Les "structures
de mensonge" voient le jour en raison du manque de relations
entre les personnes, entre les salariés. Cette carence crée
une distance par rapport à la réalité. Par exemple, la mise en place
de tableaux de bord dans une entreprise ne correspond pas, au départ,
à une intention de mentir. Mais un tel outil peut devenir une "structure
de mensonge" à partir du moment où il ne représente pas structurellement
la réalité. Certaines entreprises ne travaillent qu'avec des tableaux
de bord, qui ne représentent qu'une vision pourtant très
partielle de la réalité. Dès que ces entreprises font face à une
baisse de leur bénéfice, elles s'engagent dans une restructuration
pour rétablir la profitabilité, rétablir les tableaux de
bord. Pourtant, il leur faudrait également étudier d'autres
aspects. J'ai par exemple conduit une mission où la solution consistait,
au final, à embaucher.
Dans votre livre, vous prenez également
l'exemple de l'e-mail
Les outils de communication comme l'e-mail sont très puissants,
et efficaces en eux-mêmes. Mais ils peuvent aboutir à des structures
de mensonge s'ils sont mal maîtrisés. Ils peuvent à leur
tour déformer la représentation que chacun se fait
de l'entreprise.
Pourquoi ces structures de mensonge
se développent-elles aujourd'hui en entreprise ?
Depuis la révolution industrielle, les moyens de production se sont
profondément complexifiés. Nous n'avons cependant jamais vraiment
élaboré d'organisation à la hauteur de tous ces moyens. Les outils
de management ne permettent pas de suivre l'évolution rapide des
outils de production. Les dysfonctionnements sont de plus en plus
nombreux. Ces structures de mensonge résultent en partie de ces
ruptures.
Mais créer et entretenir des relations
directes demande du temps. Or le temps est une valeur précieuse
en entreprise ?
Effectivement, les relations demandent du temps.
L'enjeu est de trouver une organisation qui permette de préserver
les relations, sans pour autant perdre trop de temps. Mais il ne
faut pas oublier qu'un manque de relation peut avoir de graves conséquences.
Par exemple, j'ai effectué une mission dans une entreprise où la
violence au travail était impressionnante. Elle résultait notamment
d'une nouvelle organisation dans laquelle les salariés n'avaient
plus le temps de communiquer entre eux. Autant consacrer du temps
aux relations avant d'en arriver à ce genre de situation.
Vous avez une approche originale du
conseil. Pourquoi n'est-elle pas plus répandue ?
Pour l'instant, les dirigeants ne s'adressent à moi qu'en dernier
recours, lorsqu'ils ont déjà tout essayé en interne ou avec un grand
cabinet. Mon travail est le début d'une recherche approfondie sur
le management. En organisation, tout reste à faire. Les grands cabinets
travaillent beaucoup sur la productivité, mais peu sur la relation,
qui est pourtant elle aussi une source de productivité. En ce qui
me concerne, je travaille en amont. Les grands cabinets n'adoptent
pas cette approche, car ils vivent des dysfonctionnements créés
par les structures de mensonge.
PARCOURS
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Juriste en droit social, Luc Loquen a occupé plusieurs
fonctions de DRH et de secrétaires générales pendant quinze
ans. Il a également été membre de comités de direction
dans plusieurs grands groupes. Depuis neuf ans, il est consultant
en management indépendant. |
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