N'est
pas "euro-manager" qui veut
Par Jean-Pierre Scandella,
directeur-associé, Humblot-Grant Alexander
A la veille de l'élargissement des Quinze et au moment où les questions
d'ordre social et politique semblent se poser avec plus d'intensité
dans l'espace européen, l'Europe économique est une réalité que
vivent beaucoup d'acteurs au quotidien et dans tous les secteurs
d'activité.
Le
contexte économique est évidemment global. Les managers internationaux
interviennent non seulement en Europe, mais la plupart du temps
dans un contexte où le poids des Etats-Unis et le développement
de l'économie asiatique ont des influences sur leur action. Les
managers intervenant en Europe ont donc un rôle qui dépasse souvent
le cadre de l'espace européen. Qui sont les euro-managers ? Quelles
sont leurs contraintes, leurs profils ? Quel avenir pour eux ?
Acteurs de l'économie et du développement européens, les euro-managers
sont les managers directement impliqués dans les échanges en Europe.
Il en existe deux catégories. Les premiers pilotent ou contrôlent
les échanges commerciaux et négocient les contrats à l'échelle européenne
: directeurs commerciaux, directeurs des opérations, directeurs
des ventes en Europe et bien souvent dirigeants de PME chargés du
développement de leur société. Tous ces cadres forment les acteurs
économiques confrontés à la complexité européenne et aux diversités
culturelles de chaque pays constitutif de l'Europe.
La seconde catégorie impliquée dans les flux européens représente
les responsables des systèmes d'information et les directeurs administratifs
contrôlant les opérations dans un espace européen piloté à l'aide
d'outils de gestion de plus en plus intégrés (CIO, directeur des
systèmes d'information Europe, directeur financier Europe, contrôleur
de gestion Europe). Ces managers interviennent le plus souvent dans
les sièges européens et ont rationalisé leurs services, partagés
par les managers des filiales de leur groupe.
L'euro-manager doit constamment
faire le tour de ses équipes"
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L'ensemble de ces cadres de haut niveau est confronté à des contraintes
semblables. Ils doivent avant tout gérer la complexité à leur niveau
d'intervention comme d'autres managers locaux. Mais en ce qui les
concerne, cette complexité est amplifiée pour au moins deux raisons
objectives : l'étendue de leur périmètre géographique et la spécificité
culturelle de chaque pays.
Le périmètre et le nombre de pays à gérer rendent en effet les
enjeux complexes. La problématique de l'éloignement géographique
renforce en outre cette contrainte. L'euro-manager doit constamment
faire le tour de ses équipes et de ses relais pays par pays. Le
management à distance est un art qui implique toujours une certaine
proximité. C'est le cas le plus évident pour le directeur des opérations
chez un éditeur de logiciels qui coordonne ses patrons de filiales.
Ces cas sont fréquents dans les sociétés high-tech, et plus généralement
pour les sociétés qui possèdent des circuits de ventes directes
ou mixtes. La complexité géographique impliquant une problématique
de gestion à distance semble assez évidente et des techniques de
management prétendent traiter le sujet. L'euro-manager peut donc
suivre des formations en management qui peuvent l'aider à réussir
à mieux contrôler ses équipes.
La complexité culturelle renforce également la problématique
de l'euro-manager, et elle est beaucoup plus difficile à gérer.
L'Europe représente un ensemble de cultures avec des spécificités
qui se retrouvent dans les hommes, les pratiques, les législations,
c'est-à-dire à tous les niveaux. Cette richesse culturelle bien
orchestrée peut donner d'excellents résultats et une grande réussite,
mais elle s'oppose aux vues simples et au style de management uniforme.
La diversité culturelle de l'Europe
est ressentie de plus en plus fortement"
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Les euro-managers, même quand ils sont passés par des écoles de
management et des entreprises américaines, constatent vite les spécificités
des pays et la nécessité d'une approche au cas par cas. Ils n'en
oublient pas pour autant des objectifs communs aux pays et la contrainte
de trouver un modèle de développement représentant dans la somme
de ces spécificités l'identité européenne de son entreprise. Il
n'y a d'ailleurs pas de contradiction avec la gestion des opérations
Outre-atlantique, seulement des différences bien identifiées et
bien orchestrées.
Or la diversité culturelle de l'Europe est ressentie de plus en
plus fortement dans l'espace économique européen. En effet, nul
ne doute des différences entre le Nord et le Sud. La question du
management d'anglo-saxons pour un euro-manager d'origine du Sud
de l'Europe peut se poser. Elle est par exemple souvent abordée
par des dirigeants qui recherchent un directeur du développement
européen.
Le potentiel de développement représenté par les pays de l'Est
va nécessiter l'intervention de pilotes européens particulièrement
ouverts et expérimentés pour appréhender l'ensemble de ces différences
et les mettre en musique dans un ensemble cohérent. Cette problématique
culturelle est semblable pour les euro-managers qui construisent
des réseaux ou systèmes d'information sur les mêmes périmètres géographiques.
Il s'agit de cadres dont la culture
est souvent double ou multiple"
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Le pilotage d'un call-center localisé en République Tchèque pour
une société européenne est ainsi un exercice plein de saveur pour
un DSI Europe. Les profils locaux sont différents, les fournisseurs
et les législations également. La mise en place d'un logiciel de
gestion intégré (ERP) dans une vingtaine de sites industriels à
travers l'Europe est un autre exemple de challenge dans l'industrie
automobile pour un CIO basé à Paris. Plusieurs grands groupes industriels
connaissent bien ces défis et manquent de ressources expérimentées
sur ces questions.
Gérer la complexité, rationaliser sans tomber dans la simplicité
abusive implique l'intervention d'euro-managers à forte valeur ajoutée.
Il s'agit de cadres dont la culture est souvent double ou multiple
et qui ont connu très tôt des pays différents de leur pays d'origine.
Certaines écoles de commerce font à ce sujet un très bon travail
préparatoire en favorisant de réels échanges de longue durée dans
d'autres pays. Des qualités humaines d'écoute et des aptitudes à
communiquer favorisent la réussite de projets intégrés en Europe.
Sans dresser un portrait type de l'euro-manager, on peut noter
qu'il s'agit le plus souvent d'un cadre confirmé qui a eu la possibilité
d'intégrer au moins deux cultures dans son parcours. Cette expérience
lui a donné une capacité à comprendre plus vite les différences
et les intégrer dans son mode de gestion. Ces cadres représentent
des ressources expérimentées plutôt rares et qui risquent de se
raréfier encore. En effet, beaucoup de projets européens avaient
été mis en suspens pendant ces trois dernières années. Avec une
conjoncture plus favorable, ils risquent de se multiplier avec un
effet de rattrapage. Les euro-managers risquent d'être très sollicités
et très accaparés dans les années à venir. Ils ont très certainement
de beaux jours devant eux.
PARCOURS
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Jean-Pierre Scandella participe à la direction du cabinet
de recrutement d'Humblot-Grant Alexander. Il y anime le département
département High Tech. Diplômé de l'Institut d'études
politiques de Bordeaux (section économique et financière), il
a commencé son parcours en tant qu'opérationnel chez Sybel Informatique,
éditeur de logiciels, avant de rejoindre une SSII financière
en tant qu'Ingénieur d'affaires. De 1996 à 2000, il a participé
au développement d'un important cabinet de recrutement international
et a recruté des cadres confirmés et des dirigeants pour des
professionnels du domaine des technologies de l'information
(éditeurs, constructeurs, opérateurs) et des sociétés utilisatrices
en Europe. Il a rejoint Humblot-Grant Alexander début 2001.
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