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(octobre 2003).
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SALAIRES DES DIRIGEANTS
Vous avez dit transparence ?
Par Sébastien Point,
maître de conférences en sciences de gestion à l'Université de Franche-Comté (Besançon).

Dossier

Si peu de dirigeants acceptent effectivement de révéler de plein gré leur patrimoine, le gouvernement français a souhaité contraindre les grands patrons à s'y résoudre à travers la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE, 2001). Depuis sa mise en place, les entreprises françaises doivent améliorer et renforcer l'information à destination des actionnaires. Désormais, le document de référence des sociétés anonymes doit rendre compte de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés, durant l'exercice, à chaque mandataire social.

Il y a quelques années, il était encore impensable que les dirigeants français acceptent de lever le voile sur leurs compensations financières. Preuve en est avec le rapport Viénot II (1999), dont les recommandations sur la transparence des salaires furent qualifiées de "voyeurisme". Cependant, au début des années 2000, l'apparition d'un certain nombres de scandales a encouragé l'émergence de codes de gouvernance à travers l'Europe.

En Suisse et en Allemagne, l'apparition de nouvelles recommandations tente ainsi de réguler la transparence sur la rémunération des dirigeants. Les récents scandales d'ABB ou de Swissair ont privilégié l'apparition du code suisse de bonnes pratiques (2002).

En Allemagne, le refus du PDG de DaimlerChrysler de dévoiler sa rémunération au cours de la dernière assemblée générale ordinaire a conduit à la révision du code Cromme (2002) en mai dernier, en faveur d'une publication individuelle et obligatoire des salaires. Aux Pays-Bas, une nouvelle législation (WOB, 2002) - semblable à la loi NRE française - renforce la publication individuelle des compensations financières allouées aux dirigeants.


Les rapports annuels ne fournissent pas toujours ces chiffres tant attendus"


En Grande-Bretagne, pays avant-gardiste pour dévoiler les salaires des dirigeants dès le début des années 90 (rapports Cadbury - 1992 ; Greenbury - 1995 ; Combined Code - 1998), la transparence s'est encore renforcée, contraignant désormais les entreprises à justifier et comparer les niveaux de salaires Régulations sur le rapport de la rémunération des dirigeants, 2002). En France, dans son dernier bulletin mensuel, la Commission des Opérations en Bourse souligne l'alignement de la majorité des entreprises françaises sur les nouvelles dispositions mises en œuvre. Chacun d'entre-nous peut effectivement vérifier ces efforts de transparence décelables dans le document de référence des entreprises.

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Mais, curieusement, la richesse de la langue française aidant, les rapports annuels - lorsqu'ils demeurent distincts des documents de référence - ne fournissent pas toujours les chiffres tant attendus. Ces éléments d'informations sont certes disponibles selon les dires des entreprises elles-mêmes ou des journaux spécialisés, mais leur recueil n'est pas toujours facilité. Preuves en sont les documents de référence, pas toujours disponibles "en ligne", contrairement aux rapports annuels d'activité.

Finalement, l'intérêt n'est peut-être pas - comme les agences de notation ont tendance à le faire - de comparer les révélations sur les salaires mais de s'interroger sur la convergence des obligations en la matière. Il est sans doute plus pertinent de s'intéresser à la présence (ou l'absence) d'informations dites "volontaires" - et non plus obligatoires. Les recommandations sur les publications financières en ligne (c'est-à-dire via Internet) demeurent encore discrètes car non réglementées à ce jour, contrairement aux rapports annuels d'activité. Considérées comme volontaires, elles sont davantage susceptibles de révéler les efforts consentis sur la transparence des rétributions allouées aux dirigeants.


Seules deux sociétés proposent des informations détaillées et nominatives"


A titre d'illustrations, prenez les exemples des entreprises françaises et allemandes. La France a longtemps connu une certaine obédience sur la publication des salaires, des contraintes législatives obligeant alors les dirigeants les plus réticents à lever le voile sur leur patrimoine. En Allemagne, le besoin d'attirer des investisseurs étrangers, les pressions des fonds de pensions et la multiplication des agences de notation sociale ont également favorisé l'émergence d'un cadre législatif encourageant la publication des salaires.

Si la majorité des entreprises françaises disposent d'un onglet sur le gouvernement d'entreprise, vingt-huit entreprises du CAC 40 (soit 70 %) ne divulguent rien sur la rémunération de leurs dirigeants. Huit (soit 20%) détaillent la politique du groupe et/ou le rôle du comité de rémunération. Seules quatre entreprises (soit 10 %) publient en ligne les compensations allouées à leurs dirigeants, dont deux à travers un lien hypertexte vers les données du document de référence. Seules deux sociétés (BNP-Paribas et Dexia) proposent des informations détaillées et nominatives sur la rémunération des dirigeants via des tableaux synoptiques offrant ainsi une lecture plus… transparente.

En revanche, pour les entreprises du DAX, quatorze (47 %) proposent des informations en ligne sur la rémunération de leurs dirigeants. La propension des informations proposées varie toutefois d'un groupe à un autre. Les montants des compensations allouées sont indiqués dans dix rapports en ligne, trois proposant un montant global - pour l'ensemble du comité exécutif - de cette rémunération, quatre à travers un lien vers le rapport annuel et trois autres (Adidas-Salomon, Allienz et Epcos) via la production de tableaux synoptiques.


Les processus demeurent en partie opaques"


Les autres sites des entreprises du DAX ont choisi de ne présenter que la politique générale de rémunération ou le détail des systèmes de primes accordées aux dirigeants. En effet, le rapport allemand Cromme insiste particulièrement sur l'émission des stock-options et autres systèmes de primes allouées, tout comme le dernier rapport du Medef publié au printemps dernier.

Dossier

Si les grandes entreprises en Europe sont obligées d'apporter un soin particulier à communiquer les salaires de leurs dirigeants à travers leur rapport annuel d'activité, les sites Internet sont donc encore loin de mettre en exergue les efforts consentis sur cette transparence. Malgré les nouvelles obligations en Europe contraignent les dirigeants les plus réticents à dévoiler leur salaire, les processus demeurent, eux, en partie opaques.

Dans quelques pays, comme en France en en Suisse, ces efforts demeurent contraires à la culture dominante. On y remarque que cette transparence n'apporte pas toujours le bon éclairage, avec la révélation de structures compensatoires très complexes qui déroute les actionnaires, voire les bénéficiaires eux-mêmes.

PARCOURS
Sébastien Point est maître de conférences à l'UFR SJEPG (Sciences juridiques économiques politiques et de gestion) de l'Université de Franche-Comté (Besançon). Il a longuement analysé les discours des dirigeants publiés dans les rapports annuels d'activité. Chercheur associé à l'Université de Cranfield (Grande-Bretagne), ses travaux de recherche relatent actuellement de la transparence sur la rémunération des dirigeants. Il a d'ailleurs récemment contribué à un ouvrage en anglais réunissant des spécialistes à ce sujet (Top Pay Performance, à paraître à la fin de l'année chez l'éditeur Butterworth Heinemann).

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Rédaction, Le Journal du Management
   
 
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